Usure - Répertoire Pénal de l'Encyclopédie DALLOZ

29/01/2016 - 13 min. de lecture

Usure - Répertoire Pénal de l'Encyclopédie DALLOZ - Cercle K2

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1. Définition - Issu du terme latin « usura », traduit comme « l’usage, la jouissance d’un capital ou même l’intérêt d’un capital prêté », le terme d’usure désignait à l’origine toute perception d’intérêts. Ce n’est que bien plus tard que l’usure s’est réduite à la perception d’intérêts excessifs.

2. Historique - Admis en droit grec et en droit romain, le prêt à intérêt est réprimé durant le Moyen-Âge. Cette prohibition trouve son fondement essentiel dans des principes religieux de la pensée chrétienne. À partir d’une lecture exégétique de l’Évangile de Luc, « prêtez sans rien attendre en retour » (Luc, chap. VI, V. 35), les Pères de l’Église voyaient dans l’usure un acte d’exploitation de la faiblesse d’autrui. Dès lors, l’Église n’eut de cesse de lutter contre toute perception d’intérêt jugée comme immorale. Les règles de Droit canon en ce sens se sont multipliées. À titre d’exemple, le Concile de Nicée de 325 interdit aux clercs de prêter à intérêt, ou encore, en 444, le Pape SAINT LÉON affirma que prêter à intérêt constitue un péché mortel (J.-P. LÉVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil, 2010, Dalloz, no 456).

3. Le prêt à intérêt a donc longuement été jugé comme moralement condamnable, et prohibé comme tel non seulement par le Droit canon, mais également par l’Ancien droit. La pratique du prêt à intérêt, pourtant inspirée par des nécessités économiques, était réservée aux non chrétiens (une exception à la prohibition était consentie aux banquiers juifs par une ordonnance royale de 1360), ou aux commerçants dans certaines villes marchandes. Cependant, la prohibition était contournée par divers procédés juridiques, au premier rang desquels la rente viagère avec faculté de rachat ou le « placement à rente », pour lesquels des actes royaux fixaient des taux plafonds.

4. À partir du XVIIIe siècle, l’approche du prêt à intérêt s’est peu à peu détachée de la morale. La nécessité économique que représente le taux d’intérêt a progressivement été admise, en raison notamment des besoins en capitaux mobiliers. TURGOT affirmait ainsi dans ses Écrits économiques (1770) que « l’argent est une marchandise nécessaire à la vie économique » et que limiter par une loi le taux de l’intérêt revient à « priver de la ressource de l’emprunt quiconque ne peut offrir une sûreté proportionnée à la modicité de l’intérêt fixé par la loi » et par conséquent à « rendre impossible une foule d’entreprises de commerce qui ne peuvent se faire sans risque de capital ». Dans le même sens, les auteurs des Lumières ont vivement critiqué les lois portant prohibition du prêt à intérêt et ont plaidé pour leur abrogation invoquant des arguments d’ordre économique.

5. Au lendemain de la Révolution, la loi des 3 et 12 octobre 1789 abroge la prohibition et autorise la stipulation d’intérêts. Le code civil entérine cette évolution par la reconnaissance de la licéité de la stipulation d’intérêts au sein de l’article 1905. Cette disposition prévoit, toutefois, que le taux d’intérêt peut être limité par la loi. Cependant, le législateur de 1789 n’ayant prévu aucune limitation, l’adoption de ces textes débouche sur une période de liberté qui donna lieu à des abus caractérisés. Les tribunaux en appellent alors à une intervention du législateur.

6. Dans un système admettant désormais le prêt à intérêt, le délit d’usure revient alors à assortir le prêt d’intérêts excessifs. Le premier texte réprimant cette pratique date de 1807. De la sorte, une loi du 3 septembre 1807 vient plafonner le taux d’intérêt conventionnel au taux d’intérêt légal, soit 5 % en matière civile et 6 % en matière commerciale. Cette loi édicta des pénalités correctionnelles contre tout prévenu se livrant habituellement à l’usure, l’amende ne pouvant excéder la moitié des capitaux prêtés à un taux usuraire. La répression fut renforcée par la loi du 19 décembre 1850 qui prévoyait une peine d’emprisonnement de 6 jours à 6 mois. Il s’ensuivit une période de libéralisation en matière de taux d’intérêt, la loi du 18 janvier 1886 restaurant la liberté de fixation des taux pour les prêts commerciaux, suivie par une loi de 1918 en matière civile. Ces lois inaugurent une période de liberté du loyer de l’argent pendant toute la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.

7. Dans un contexte de grande crise économique, et face aux abus auxquels la liberté totale de fixation des taux avait pu conduire, un décret-loi du 30 octobre 1935 marque un retour a priori définitif à l’incrimination de l’usure. Ce texte est novateur à plusieurs titres. Il fait tout d’abord de l’usure un délit simple, alors qu’il avait toujours été considéré comme un délit d’habitude. Il donne, surtout, à la réglementation sur l’usure sa forme moderne en définissant le plafond fixé non plus à partir d’un écart par rapport à un taux fixé arbitrairement par la loi, mais par comparaison avec les taux moyens pratiqués dans les mêmes conditions par les prêteurs de bonne foi pour les opérations de crédit comportant les mêmes risques. La difficulté à déterminer le taux effectif et le taux moyen de référence, ainsi que la difficulté à cerner la notion de prêteur de bonne foi, ont rendu malaisée l’application de ce texte. L’imprécision de l’incrimination a conduit à des applications rarissimes du texte et à des appels répétés à une réforme en la matière.

8. Ces errements de la réglementation sur l’usure sont le reflet de la nécessité de concilier deux impératifs qui se révèlent souvent contradictoires : la nécessité de protéger les emprunteurs contre les abus, d’une part, et la nécessité de ne pas freiner le développement économique, d’autre part. Au-delà de l’impératif de protection des intérêts des emprunteurs contre la perception d’intérêts excessifs, on ne peut nier l’intérêt d’une réglementation permettant d’exercer un contrôle sur les circuits du crédit, mais aussi de limiter ou lutter contre la hausse des prix.

9. Réforme de 1966 : une phase de codification - Cette réforme tant attendue intervient avec la loi no 66-1010 du 28 décembre 1966 relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité (JO 29 déc.) qui énonce les grands principes encore en vigueur dans notre droit positif. À l’origine, la loi de 1966 prévoyait une fixation du taux de l’usure par référence à deux seuils. Le premier, dit taux plafond, pouvait être fixé discrétionnairement par le Conseil national du crédit ou, à défaut, était constitué par le taux effectif moyen pratiqué par les établissements de crédit au cours du trimestre précédent pour un type de crédit considéré, taux majoré de 25 %. Le second, dit taux butoir, était uniforme et résultait de la multiplication par deux du taux moyen de rendement effectif des obligations (TMO) émises au cours du semestre précédent. Bien qu’il soit considéré comme le seuil principal, le taux plafond n’était pas utilisé en pratique. Le ministère des Finances publiait des taux moyens sous forme de fourchette, ce qui était source d’incertitude quant au montant à prendre en compte (M. CABRILLAC et Ch. MOULY, Droit pénal de la banque et du crédit, 1982, Masson, no 278). C’est pourquoi la pratique judiciaire utilisait systématiquement le taux butoir, d’application plus simple que le taux plafond, mais dont l’uniformité ne permettait pas d’adapter l’appréciation aux différents types de crédit. Cette loi de 1966 a été complétée notamment par le décret no 85-944 du 4 septembre 1985 relatif au calcul du taux effectif global (JO 8 sept.) et la loi du 31 décembre 1989, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers, qui a supprimé le taux butoir ainsi que la faculté pour le Conseil national du crédit de fixer une limite de rémunération pour un type de crédit donné. Désormais, le seuil de l’usure est déterminé par le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent comportant des risques analogues, ce taux étant majoré d’un tiers. Les modalités du calcul du taux effectif moyen sont fixées à l’article D. 313-7 du code de la consommation. Le taux effectif moyen est calculé trimestriellement par la Banque de France, à partir d’une enquête auprès de certains établissements de crédit ou agences d’établissements considérés comme représentatifs ; l’enquête recense des données individuelles relatives à des crédits nouveaux accordés au cours de la période sous revue. Ensuite, elle a été modifiée par la loi no 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles (JO 2 janv. 1990). L’apport essentiel de cette loi est la suppression du taux de rendement obligatoire comme élément de référence du caractère usuraire du taux effectif global. Puis, la loi no 93-949 du 26 juillet 1993 sur la protection des consommateurs (JO 27 juill.) a inséré officiellement les dispositions de la loi de 1966 dans le code de la consommation aux articles L. 313-1 à L. 313-6, avant qu’une ordonnance intègre également ces dispositions concernant l’usure dans le code monétaire et financier aux articles L. 313-4 et L. 313-5 (Ord. no 2000-1223 du 14 déc. 2000 relative à la partie Législative du code monétaire et financier). Enfin, le décret no 2002-927 du 10 juin 2002 est venu transposer des directives européennes au sujet du crédit à la consommation (directives européennes no 98/7/CE du 16 févr. 1998 modifiant Direct. no 87/102/CEE déjà modifiée par Direct. no 90/88/CEE).

10. Réformes de 2003 et 2005 : une phase de dépénalisation - Une nouvelle étape législative est remarquée avec la loi no 2003-721 du 1er août 2003 sur l’initiative économique (JO 5 août) venue faciliter l’accès au crédit pour les entreprises dont le projet est risqué mais « pourtant économiquement viable et source d’emplois » (Ph. PORTIER, Réforme du régime de l’usure, RD banc. fin. 2003. Comm. 90), suivie par la loi no 2005-882 du 2 août 2005 (JO 3 août) sur les petites et moyennes entreprises. Ces deux réformes ont très sensiblement réduit le domaine de l’usure, en excluant de son champ d’application les prêts accordés aux entrepreneurs exerçant sous forme sociétale ou individuelle. L’article L. 313-3 du code de la consommation (reproduit à l’art. L. 313-5 C. mon. fin.) prévoit désormais que « les dispositions du présent article et celles des articles L. 313-7 à L. 313-16 ne sont pas applicables aux prêts accordés à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale ». Sont ici visées toutes les personnes morales, qu’elles soient de droit privé ou de droit public. Cependant, la personnalité morale est une condition d’application du texte, de sorte que les fonds communs de placement ou les sociétés en participation, dépourvus de la personnalité morale sont exclus de la dépénalisation. De plus, la nature de l’activité exercée fixe le champ de la dépénalisation : sont concernées les personnes morales exerçant une activité professionnelle, qu’elle soit commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion de celles n’exerçant pas d’activité marchande ou poursuivant des missions d’intérêt général, telles que les associations. Selon la circulaire d’application de la loi du 1er août 2003, la dépénalisation concerne donc toutes les opérations de crédit, quelle que soit leur nature, et notamment les découverts en compte (Circ. 18 déc. 2003, CRIM 0315/G3 18.12.2003, I). C’est ainsi que sont désormais exclues du champ d’application de l’usure toutes les conventions de prêt ayant vocation à être exclusivement conclues par des professionnels, comme par exemple les contrats d’affacturage, d’escompte, notamment, ou encore les prêts participatifs. Autrement dit, le délit d’usure ne subsiste véritablement que pour les crédits aux particuliers. D’ailleurs, la loi no 2005-882 du 2 août 2005 (JO 3 août) a complété la liste des emprunteurs exclus du bénéfice de la réglementation sur l’usure en y ajoutant les personnes physiques contractant pour les besoins de leur activité professionnelle (art. L. 313-3 mod. C. consom.). La dépénalisation de l’usure et le déplafonnement des taux d’intérêt qui en résulte s’appliquent donc aux entrepreneurs individuels (commerçants, artisans, professions libérales). Mais, le législateur semble être revenu en 2005 sur la dépénalisation de l’usure à propos des découverts en compte. En effet, dans le code monétaire et financier, l’article L. 313-5-1 dispose que, « pour les découverts en compte, constitue un prêt usuraire à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale tout prêt conventionnel qui excède, au moment où il est accordé, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit pour les opérations de même nature comportant des risques analogues telles que définies par l’autorité administrative après avis du Conseil National du Crédit et du Titre ». Cette disposition a pour objet de remettre en vigueur l’interdiction des prêts usuraires sous forme de découverts en compte courant consentis aux personnes morales précitées. Néanmoins, il convient de retenir que cette forte dépénalisation de l’usure n’empêche pas le maintien de l’obligation de mentionner le taux effectif global dans toutes les conventions de prêt, y compris celles conclues par les personnes morales (Circ. CRIM 03-15/G3.18.12.02 du 18 déc. 2003, II). Ainsi, l’action sur le fondement du caractère erroné du taux effectif global, tenant en particulier aux règles de prescription, et le caractère dissuasif de la sanction encourue sont maintenus. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le contentieux relatif à l’usure se raréfie, tandis que celui relatif au calcul du taux effectif global et à son caractère erroné, qui représente un palliatif avantageux pour les emprunteurs, connaît un fort développement.

11. Postérieurement à l’entrée en vigueur de ces lois, un arrêté du 24 août 2006 (JO 13 sept.) fixe les catégories de prêts restant soumises à l’usure et servant de base à l’application de l’article L. 313-3 du code de la consommation et de l’article L. 313-5-1 du code monétaire et financier. De même, un rapport rédigé par la Banque de France dresse un bilan des effets de la libéralisation du régime de l’usure concernant le crédit aux entreprises (Banque de France, Les incidences de la réforme de l’usure sur les modalités de financement des petites et moyennes entreprises, Rapport au Parlement, déc. 2006). Cette analyse présente l’incidence, globalement favorable, de cette réforme permettant un réel élargissement de l’accès au crédit. Ce rapport a permis aux établissements de crédit de mieux sélectionner les emprunteurs et de mieux tarifer leurs crédits en tenant compte du coût marginal du risque. De plus, il résulte du rapport précité que la réforme n’aurait pas produit les effets pervers que certains pouvaient redouter, dans la mesure où elle n’a pas fait augmenter significativement le taux de défaut des entreprises les plus risquées. Dans cette perspective, et alors que la doctrine majoritaire était en faveur d’une application large de l’article L. 313-5 du code de la consommation, certains auteurs ont exprimé leur doute quant à l’application de ces dispositions aux prêts destinés aux professionnels, estimant que toute extension de la réglementation au-delà de ces prévisions aurait été contraire au principe d’interprétation stricte de la loi pénale (G. MATHIEU, Taux effectif global, usure et crédit aux entreprises, Gaz. Pal. 2000. Doctr. 1943).

12. La loi no 2010-737 du 1er juillet 2010, dite loi Lagarde, portant essentiellement sur la définition et le champ d’application du crédit à la consommation constitue également une nouvelle phase dans la modernisation du régime de l’usure. En effet, elle révise en profondeur le calcul des taux d’usure pour essayer d’harmoniser ces taux applicables aux prêts aux particuliers. Après une période transitoire déterminant les seuils de l’usure selon les types de prêts (crédit renouvelable, prêt personnel), il existe depuis le 1er avril 2013 trois nouveaux seuils de l’usure des crédits à la consommation définis uniquement en fonction du montant du prêt et de l’utilisation que les consommateurs font du crédit : – un taux plafond pour les crédits jusqu’à 3 000 € (couvrant les besoins de trésorerie et petits achats d’équipement des ménages) ; – un autre pour les crédits entre 3 000 € et 6 000 € (équipement de la maison et petits travaux) ;
– un troisième pour les crédits de plus de 6 000 € (financement des véhicules et des travaux importants).

13. Cette réforme a été approfondie par l’arrêté du 22 mars 2011 pour la détermination des taux de l’usure pour les prêts n’entrant pas dans le champ d’application des articles L. 312-1 à L. 312-3 du code de la consommation (JO 23 mars). Il précise que ces seuils d’usure, hors le champ d’application des articles L. 312-1 à L. 312-3, sont déterminés par la Banque de France, fixe les montants qui définissent les catégories de prêts servant de base à l’application du régime de l’usure et donne la formule du calcul de l’usure. D’aucuns ont rapidement souligné le risque de difficultés pratiques lorsqu’il s’agira d’appliquer ces différents seuils, en particulier au crédit renouvelable dont le montant est par nature évolutif (X. LAGARDE, Taux d’usure et crédit revolving : de quelques difficultés pratiques..., RD banc. fin. 2011. Comm. 46). Enfin, la loi no 2014-344 du 17 mars 2014, dite Loi Hamon, vise à renforcer la protection des consommateurs, notamment en adaptant le régime des sanctions. Vu l’ampleur de cette dernière réforme, une ordonnance est même prévue dans un délai de deux ans pour réécrire la partie législative du code de la consommation. Cette loi transposerait la directive no 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, renforçant notamment les peines prévues en cas d’usure.

 

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29/01/2016

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