Servir la France et protéger l’environnement : une alliance victorieuse

19/10/2020 - 4 min. de lecture

Servir la France et protéger l’environnement : une alliance victorieuse - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Arnaud Casado est Maître de conférences à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I).

Antoine de Prémonville est Docteur en Sciences humaines et sociales et auteur de plusieurs ouvrages relatifs aux questions de défense.

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Servir la France et protéger l’environnement : une alliance victorieuse

L’entretien d’une armée opérationnelle est source de pollutions (chauffages des casernes, obsolescence et durée de vie éphémère de certains équipements, etc.) comme la conduite de la guerre (consommation de carburants, de munitions diverses, etc.). Or, au-delà des seules préoccupations environnementales, les habitudes de consommation de l’armée ont un coût en termes de liberté d’action, ce qui devrait seul suffire à s’interroger sur les moyens de gagner en autonomie. De fait, la transition écologique pourrait révéler des opportunités stratégiques.

Lutter contre le fardeau pétrolier

La dépendance au pétrole en est un exemple majeur : un quart de la consommation de carburant se volatilise dans le fonctionnement et le chauffage des emprises militaires ; le reste permet d’assurer la mobilité des Armées. Le coût budgétaire et écologique de ces deux secteurs peut être réduit notamment par l’isolation des bâtiments, l’achat de véhicules moins énergivores et une transition vers des carburants plus écologiques. Ainsi, la BA 705 de Tours utilise, à l’intérieur de la base, des véhicules électriques. Des tests de véhicules de combat terrestre hybrides sont à l’étude pour les armées françaises et britanniques. De même, des expérimentations autour de la pile à combustible et de l’hydrogène sont menées pour réduire l’empreinte environnementale des armées. Désormais, le volet énergétique entre en ligne de compte des programmes d’armement et d’équipement, dans la mesure où les coûts d’aval en termes de consommation peuvent en dépendre.

En opération, les flux logistiques qui incluent une part importante de produits pétroliers, sont particulièrement vulnérables aux modes d’actions opportunistes de l’ennemi, notamment du fait du recours massif aux engins explosifs improvisés (IED) de tous types (mines, véhicules suicides, etc.), de la fréquence des convois et d’itinéraires parfois contraints. Aussi, réduire le poids logistique du soutien pétrolier pourrait indubitablement constituer un moyen de restreindre certains risques pris par nos troupes en opérations extérieures. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’une solution alternative au soutien pétrolier des emprises révolutionnerait le quotidien des logisticiens militaires ou du SEA. En revanche, en réduisant les volumes et la fréquence de certains flux, certains risques seront mécaniquement réduits. Dans ce domaine, des projets novateurs tels que le soutien énergétique à base de panneaux solaires expérimentés au 1er REG (régiment étranger du génie) ou sur la base aérienne de Creil devraient être multipliés afin d’ouvrir des perspectives pour les bases en opérations extérieures.

 

Fidéliser les troupes

Il demeure que si la transition écologique est souvent considérée comme une urgence, voire une question de survie de l’humanité sur le temps long, elle ne peut, à court terme, être sérieusement envisagée pour les armées si elle s’effectue au détriment de la sécurité des troupes. Une partie de la pollution engendrée par les armées ne peut aujourd’hui être réduite de manière immédiate. Malgré cette pollution structurelle, il existe de nombreuses pistes pour réduire l’empreinte écologique de l’institution, ses coûts de fonctionnement et améliorer le bien-être de ses personnels. Parmi ces actions neutres en termes de qualité de service rendu aux citoyens, mais bénéfiques pour les ressortissants du ministère des Armées, citons la rénovation énergétique des bâtiments, la réduction de leur consommation énergétique, la modernisation des lignes de production et de maintenance des matériels.

Mais on peut aller plus loin. Les Armées peinent à fidéliser. La formation des militaires est un processus long et coûteux. Statistiquement, un militaire ne devient « rentable » qu’au bout de huit ans de service, temps à partir duquel il exprime la plénitude de ses savoir-faire. Malheureusement, la « fidélisation », c’est-à-dire le taux de réengagement au-delà du primo-contrat est faible chez les militaires du rang : dans certaines spécialités, ce taux n’atteint que 30%.

Des préoccupations multifactorielles expliquent ces chiffres (pression opérationnelle, moyens mis à disposition, intérêt du métier, stress lié à l’engagement, etc.). Néanmoins, les rapports rendus par les organismes de concertation du ministère des Armées témoignent régulièrement de l’insatisfaction d’une partie des engagés quant à leurs conditions de vie. Si des progrès considérables et visibles ont été réalisés au cours de la dernière décennie, ils demeurent pour certains insuffisants. La transition environnementale de l’armée pourrait permettre de répondre, en partie, à cette difficulté en contribuant à l’amélioration des conditions de vie des troupes. Pour ce faire, nombre de propositions évoquées dans une précédente tribune peuvent également s’appliquer à l’armée (A. CASADO, Concilier la fin du mois avec la fin du monde : le Droit Social A Vocation Environnementale (DSAVE) au service d’une juste transition, Cercle K2, 2020).

Ainsi, depuis le 11 mai 2020, les personnels civils et militaires de l'État peuvent être bénéficiaires du forfait mobilités durables. Sous réserve d’adopter une mobilité par cycle ou en covoiturage pour leurs trajets résidence habituelle-lieu de travail pendant au moins 100 jours sur une année civile, ces personnels pourront obtenir le remboursement de tout ou partie des frais engagés au titre de ces déplacements dans la limite de 200 € par an.

De la même manière, la conversion des cercles, mess et ordinaires aux circuits courts et aux produits bio permet déjà d’améliorer les conditions de travail et de réduire les coûts d’approvisionnements dans certains sites pilotes.

Une réflexion sur l’emploi et les modalités de travail pourrait permettre de réduire les nuisances liées à l’utilisation des produits dangereux ou encore la gestion des déchets des emprises militaires. La transition écologique pourrait rapidement permettre à l’institution militaire d’améliorer les conditions de vie de ses administrés tout en réalisant des économies et en leur faisant faire des économies.

Il s’agit là de considérations essentielles qui parleront nécessairement aux militaires qui sont aussi, et peut-être plus que d’autres, des citoyens engagés au service de la collectivité. Servir la France en protégeant aussi l’environnement, tel pourrait être sinon une nouvelle devise, du moins un nouveau motif de fierté pour les armées.

Arnaud Casado et Antoine de Prémonville

19/10/2020

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