Retour sur l'expérience Deep Time avec François Mattens

16/05/2021 - 7 min. de lecture

Retour sur l'expérience Deep Time avec François Mattens - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Cofondateur d’un accélérateur de start-up, François Mattens est Directeur des affaires publiques et de l’innovation du GICAT et enseigne dans les Universités Panthéon-Sorbonne, Paris-Dauphine PSL et à Sciences Po Paris. Diplômé de la MIT Sloan School of Management et de l’Université Panthéon-Assas, il a commencé sa carrière dans différentes administrations et auprès de responsables politiques. Officier de réserve opérationnelle, Auditeur Jeune de l’INHESJ et de l’IHEDN, Président des Jeunes IHEDN de 2013 à 2016, il est aujourd’hui sociétaire et membre du Conseil d’administration de la Société des Explorateurs Français et Membre fondateur du Cercle K2.

Il a participé en mars-avril 2021 à Deep Time, une expédition scientifique et humaine hors du commun organisée par l'explorateur Christian Clot : vivre sous terre pour apprendre les liens entre notre cerveau et le temps, pour comprendre la capacité de synchronisation fonctionnelle au sein d'un groupe. Aux côtés de 14 autres équipiers, il a passé 40 jours dans la grotte de Lombrives en Ariège, sans contact avec l'extérieur, sans accès à la lumière ni aucun indicateur temporel, par 10°C et 100 % d'humidité. Les objectifs de cette mission étaient de comprendre l'adaptation du cerveau par rapport au temps, les impacts de la désynchronisation face à une situation nouvelle et la capacité d'un groupe humain à retrouver une synchronisation.

 

Comment avez-vous été sélectionné pour cette aventure ? 

La sélection s'est faite parmi 1500 candidats évalués sur des critères physiques et psychologiques. Loin de rechercher des personnes surentrainées (tant mieux pour moi d'ailleurs), il fallait tout de même une condition physique minimum et passer des entretiens avec des médecins validant notre stabilité psychologique et mentale pour vivre une telle expérience.

Surtout, l'Adaptation Institute a sélectionné des équipiers représentatifs de la société, 7 hommes et 7 femmes ayant des profils diversifiés : une bijoutière, un cordiste, une infirmière, un biologiste, un enseignant, etc., et moi. Le plus important était d'avoir une complémentarité entre les compétences et les expertises de chacun pour permettre au groupe de faire face à n'importe quelle situation en s'appuyant sur son intelligence collective.


Pourquoi avoir décidé de rejoindre cette aventure ?

Participer à DeepTime m'a permis de faire partie d'une expédition hors du commun - une première mondiale dans ces conditions à ce jour - sur les liens entre le cerveau et le temps. Ce fut une opportunité unique de prendre part activement à la recherche scientifique sur l'adaptation et l'avenir de nos sociétés. Sortir de ma zone de confort, repousser mes limites, j'ai déjà eu l'occasion de le faire en certaines occasions, mais jamais de telles conditions avec autant d'inconnus au départ. Et puis ce n'est pas tous les jours que l'on peut donner son corps à la science de son vivant...

 

Quelles étaient vos principales appréhensions avant d’entrer dans la grotte ? Se sont-elles vérifiées ?

Les appréhensions étaient bien réelles me concernant comme la plupart de mes co-équipiers. La première tenait aux conditions dans lesquelles nous allions vivre pendant 40 jours : 100 % d'humidité et 10°C ! En effet, dans cet environnement, vous avez constament froid après quelques secondes sans activité et vos affaires deviennent très rapidement humides, voire mouillées, si vous n'y prêtez pas attention. Avec le temps, tout à pourri et des moisissures sont apparues dans nos sanitaires, notre lieu de vie et même dans nos tentes. 

La seconde appréhension tenait à la vie de groupe, de savoir comment nous allions gérer notre vie en communauté. À mon agréable surprise, le groupe a très bien vécu. Au-delà de petites tensions normales sur la nourriture ou des tâches ménagères, les relations ont été excellentes et nous avons réussi à surmonter tous les problèmes grâce au dialogue et la cohésion entre équipiers.  

 

Quel a été votre rôle dans cette aventure ? Plus généralement, comment étaient répartis les rôles ?

Dès le début, Christian Clot nous a assigné des responsabilités spécifiques : formateur à la montée sur corde, responsable des denrées, responsable médical, responsable des déchets, etc. En tant que responsable "énergie", j'étais en charge de la bonne utilisation de l'électricité pour éviter toute surconsommation (gestion des batteries, répartition de la consommation, production d'électricité par pédalage, etc.). Malgré cela, nous avons connu deux épisodes où l'électricité a complètement sauté, nous plongeant dans le noir quasi-complet, passant d'une expérience de vie à une expérience de survie. Heureusement, cela n'a duré que quelques heures à chaque fois avant un retour à la normal. Au-delà de ces responsabilités, chacun avec son rôle à jouer pour la bonne gestion de la base vie et nous avons tous participé à la récupération de l'eau, l'évacuation des déchets ou le pédalage pour produire de l'électricité.

 

Pouvez-vous nous expliquer comment se déroulait une journée type ? Comment vous repériez-vous dans le temps en l'absence de lumière du jour?  Nous avons entendu dire que les journées étaient de 32 heures...

Du fait des conditions, notre corps dépensant beaucoup d'énergie, nous prenions 3 à 4 repas par cycle, et malgré cela, j'ai perdu du poids ! En complément de l'entretien de la base vie, nous avions des protocoles scientifiques quotidien à exécuter pour évaluer l'impact sur notre corps : perception de temps, test olfactif, test de mémoire, etc. Enfin, nous avions également trois missions complémentaires : cartographier la grotte, ramasser les déchets accumulés et référencer les milliers d'inscriptions, appelées "glyphes", témoignages du passé durant des centaines d'années avec des visiteurs illustres comme Henri IV. Ce fut une mission très émouvante, un véritable voyage dans le temps !

Nous ne parlions pas de journée mais de "cycle", ce qui équivaut à une journée et une nuit. Les premiers cycles ont été très déstabilisants puisqu'en vous levant, vous pouviez croiser des personnes qui allaient se coucher et d'autres qui prenaient leur déjeuner... Il n'y avait donc aucun moyen d'avoir un référentiel temporel durant toute cette expérience, chacun se basait sur son propre rythme biologique jour/nuit même si forcément le fait d'être en groupe a pu influencer notre rythme.  Lorsque les équipes extérieures sont venues nous chercher au bout de 40 jours, j'étais dans ma nuit du 31ème cycle. La seule chose que je peux en déduire aujourd'hui est que mes cycles ont fait, en moyenne sur ces 40 jours, environ 32 heures. Cependant, impossible de savoir si mes nuits et mes journées étaient plus courtes ou plus longues qu'en temps normal. Les scientifiques de l'expédition sont actuellement en train d'analyser ces données et les communiqueront dans quelques mois.

 

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées ?  

La principale difficulté tenait à la complexité de pouvoir s'organiser quand nous voulions mener à bien certaines tâches. Comment se donner rendez-vous quand il est impossible de fixer un horaire, de réveiller votre équipier et de communiquer avec lui ? Comment mettre une deadline ou un temps écoulé pour mener à bien une mission ? Nous devions à chaque fois attendre que l'équipe soit réunie pour commencer notre mission et l'attente pouvait parfois durer 1/2 cycle. Au final, malgré ces difficultés, nous avons réussi à concrétiser la quasi-totalité des missions demandées initialement. Preuve qu'un groupe est capable de très belles choses malgré des conditions très dégradées.

 

La vie dans la grotte a-t-elle contribué à développer des liens plus forts que dans la vie quotidienne?

D'une part, la diversité des profils des équipiers a largement contribuer à créer des liens entre des personnes qui ne se seraient peut-être jamais croisées dans la vie normale. D'autre part, les conditions difficiles nous ont obligé à la solidarité entre équipier, créant de facto des liens forts entre nous, qui je n'en doute pas vont se pérenniser dans les semaines et mois à venir.

 

Comment vous êtes-vous préparé à la sortie ? Y avait-il de l'impatience ou au contraire de l’appréhension ?

Avant même l'entrée dans la grotte, nous avions déjà pu en discuter avec des psychologues pour nous préparer au "choc" de la sortie. Bien entendu, nous en avons beaucoup discuté entre équipiers durant les 40 jours afin d'avoir une transition la plus adaptée possible à un retour à la vie quotidienne. Nous avons eu un "sas" de quelques heures avant la sortie avec le retour d'une montre pour que nous nous réhabituons à avoir un repère temporel.

À la sortie de cette aventure, appréhension et tristesse se sont mêlées à l'impatience et au plaisir. Tristesse, car durant 40 jours, cette magnifique grotte a été notre maison, nous nous sentions un peu chez nous. De plus, dans le contexte sanitaire, nous étions paradoxalement très libres puisque sans masque et avec la possibilité de faire des repas à 15 personnes. Nous ne savions pas si le pays était à nouveau confiné ou non. Impatience également de retrouver nos proches, la chaleur du soleil, les odeurs de la nature et une bonne douche chaude !

 

Quatre semaines après votre sortie, vous sentez-vous transformé ? 

C'est encore difficile à dire aujourd'hui. Je pense qu'il faudra encore plusieurs mois avant de réaliser ce que nous avons vécu et ses conséquences. Cependant, l'hyperactif et hyperconnecté que je suis a été agréablement surpris du plaisir qu'il a pu prendre à s'ennuyer et à être coupé du monde. Cet ennui déculpabilisé et cet hermétisme au numérique m'a permis de me reconcentrer sur des idées ou projets que je n'avais jamais pris le temps de considérer et de réaliser. Marcel Proust disait que "le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux". Cette expérience m'a apporté un regard nouveau sur certaines choses.

 

Au final, quel bilan retirez-vous de cette expérience ?

J'ai conscience d'avoir pris part à un projet extra-ordinaire qui dépasse ma simple personne. Les résultats scientifiques vont mettre du temps avant d'être connus, mais cette expérience montre déjà la capacité de l'être humain à s'adapter à des conditions inconnues, d'autant plus quand celui-ci a la possibilité de s'appuyer sur l'intelligence collective d'un groupe. C'est un vrai espoir pour notre futur. 

L'espoir que cette expérience et les travaux de l'Adaptation Institute permettent de comprendre et d'améliorer les relations humaines en société, mieux s'adapter en cas de crise climatique majeure ou encore préparer les prochains voyages spatiaux et missions sur d'autres planètes. 

Site officiel : www.deeptime.fr
Podcast réalisés durant l'expérience : https://www.youtube.com/watch?v=wI-jQq0x_rQ
Vidéo Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=ML9r22FFjU0

16/05/2021

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