Les pouvoirs exceptionnels du Président des Etats-Unis face au coronavirus

21/04/2020 - 8 min. de lecture

Les pouvoirs exceptionnels du Président des Etats-Unis face au coronavirus - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Florence Caurand est avocat aux Barreaux de Saintes (France) et du Massachusetts (USA).

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Le Président Donald J. Trump a pris des mesures exceptionnelles pour faire face à la guerre sanitaire à laquelle son pays fait face, à l'instar de nombreux pays du monde. Pour autant, la Constitution américaine ne contient pas de dispositions explicites telle que l'article 16 de la Constitution française de la Vème république sur les pouvoirs exceptionnels du Président de la République (dont il n'est pas fait usage pour l'instant).

 

Les bases historiques du fédéralisme et des sources constitutionnelles limitées                       

La structure philosophique et juridique des Etats-Unis est fondée sur le fédéralisme et le principe selon lequel les Etats membres ont une compétence générale notamment en matière de protection sociale et de sécurité publique, le gouvernement fédéral ayant des pouvoirs limités définis par la Constitution. Une analogie peut être faite, dans une certaine mesure, avec l'Union européenne, les Etats membres ayant renoncé à certaines de leurs compétences.

Aux Etats-Unis, le Président est seul chef de l'exécutif. Le vice Président ne constitue pas l'équivalent d'un chef de gouvernement, ni même d'un ministre. Les pouvoirs attribués au Président figurent à l'article II de la Constitution des Etats-Unis, à laquelle ont adhéré porgressivement les 50 Etats. Le Président dispose d'un large pouvoir exécutif d'application des lois votées par le Congrès américain (les deux chambres), et de gestion des tâches et ressources des grandes administrations fédérales qu'elles soient indépendantes ou sous l'autorité d'un secrétaire d'Etat (l'équivalent d'un ministre). Une loi fédérale votée par le Congrès peut également donner autorité au Président de mettre en oeuvre ses dispositions, dans le respect de la Constitution. En sa qualité de chef de l'Etat, le Président des Etats-Unis est également chef des armées (Article I section 8 de la Constitution). En vertu du War Powers Act (résolution votée par le Congrès en 1973, pendant la guerre du Vietnam), le Président peut lever et envoyer des troupes pendant une période de 60 jours, après quoi le vote du Congrès est requis. La Constitution accorde également des pouvoirs exceptionnels au Président en cas de rébellion.

La Consitution américaine de 1776 ne prévoit cependant pas explicitement le droit pour le Président de prendre des décisions ayant valeur de règlements. La clause 1, Section 1 de l'article II de la Constitution prévoit que le pouvoir exécutif appartiendra au Président des Etats-Unis d'Amérique. Les sections 2 et 3 mentionnent les pouvoirs et devoirs du Président et notamment celui de veiller à l'application des lois.

Malgré cela, dès après la Révolution, le Président Georges Washington pris des executive orders équivalents à des décrets présidentiels (il faut noter qu'un pouvoir quasi similaire est aujourd'hui accordé aux gouverneurs des 50 Etats, aux termes de leur constitution respective). Les décrets présidentiels affectent directement l'application des lois et l'exécution de la politique gouvernementale, notamment par le pouvoir quasi discrétionnaire du Président de distribuer le budget voté par le Congrès. Ils restent applicables jusqu'à ce qu'ils expirent à leur date butoir, soient révoqués ou modifiés par un décret postérieur, ou annulés par un juge fédéral. Dans le passé, les nouveaux Présidents issus d'une majorité politique adverse, s'empressaient de modifier les décrets édictés par leurs prédécesseurs. Un des décrets les plus importants de l'histoire des Etats-Unis accorda l'émancipation des esclaves noirs (il fut pris par le Président Lincoln en 1863). En 1999, le Président Clinton utilisa des décrets présidentiels pour mener à bien la guerre au Kosovo, après avoir cependant obtenu un vote favorable du Congrès.

Les décrets du Président des Etats-Unis, publiés au Federal Register, peuvent être contestés devant une juridiction fédérale qui peut invalider le décret s'il manque de base légale ou constitutionnelle. Il s'agit donc d'un contrôle a posteriori. La Cour suprême, au sommet des juridictions fédérales, joue ici un rôle de contre-pouvoir. Ses membres sont nommés à vie par le Président des Etats-Unis après un vote de confirmation par le Sénat. Ils sont irrévocables. C'est de sa propre initiative que la Cour suprème des Etats-Unis s'est accordée le droit de juger de la légalité des actes des autres branches du pouvoir (exécutif et législatif),dans son célèbre arrêt Marbury v. Madison, en 1803. Cette procédure d'exception de consitutionnalité ouverte au justiciable existe donc aux Etats-Unis depuis cette date. En France, nation de droit civil, il fallut attendre la réforme constitutionnelle de 2008 pour mettre fin à la supériorité de la loi, même si la Cour de cassation avait rendu dès 1975, un arrêt révolutionnaire (Jacques Vabre).

La Cour suprême est actuellement composée d'une majorité conservatrice (parti républicain), laquelle est donc favorable au Président Trump du même parti. Cependant, Chief Justice Roberts (républicain), qui préside la Cour, a déjà fait montre de son indépendance depuis sa nomination. Rappelons qu'il n'existe pas de juridiction administrative dans les pays de common law et que la légalité des décisions prises par l'exécutif (fédéral ou d'Etat) revient aux juridictions judiciaires de droit commun. La Cour suprême des Etats-Unis a donc ainsi un double rôle, l'équivalent de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel.

 

Les sources juridiques actuelles du pouvoir présidentiel en matière d'état d'urgence

Cette structure fédérale perdit de sa rigueur lors de la guerre civile (1860-1865), puis davantage encore par l'interprétation extensive de la "Commerce clause" (Article I, section 8, clause 3 de la Constitution qui donne pouvoir au Congrès de légiférer en matière commerciale) et enfin par l'émergence, après la 2ème guerre mondiale, de grandes administrations fédérales exerçant leur pouvoir de contrôle et de direction sur les Etats membres par le biais de l'allocation du budget fédéral à ces mêmes Etats. La FEMA (Agence fédérale de gestion des urgences nationales), par exemple, attribue des budgets conséquents aux Etats membres. Néanmoins, les Gouverneurs de chaque Etat membre conservent leur compétence générale en matière de protection sociale et la structure fédérale reste solide.

Une loi fédérale de 1976 (le National Emergency Act) accorde expressément au Président des pouvoirs exceptionnels s'ils survient une situation d'urgence nationale. Le Congrès peut asssi reprendre la main sur le Président mais cela nécessite le vote des deux assemblées et suppose donc un accord politique des deux chambres. Si la majorité au Sénat est républicaine et qu'elle est démocrate à la Chambre des Représentants, ou inversement, l'accord sera difficile à trouver.  De plus, le Président peut exercer son droit de veto en refusant de signer la loi et, dans ce cas, le Congrès, pour outrepasser le veto présidentiel, devra voter à nouveau à une majorité des 2/3.

Plus d'une centaine de lois fédérales contiennent une clause 'd'urgence nationale' qui doit faire l'objet d'une déclaration du Président des Etats-Unis ou du vote d'une résolution conjointe par le Congrès. 

En réalité, de nombreuses lois fédérales disposent d'une disposition dérogatoire en cas de déclaration d'urgence nationale. Le Brennan Center a tenté d'identifier la myriade des pouvoirs présidentiels qui peuvent être exercés en cas de déclaration d'urgence nationale. Ces informations figurent sur le site internet du centre (lien)

Ainsi, il apparaît que les pouvoirs du président américain sont sans commune mesure avec les pouvoirs encadrés du gouvernement français qui a dû obtenir un vote par le Parlement l'autorisant à légiférer par ordonnances, qui feront l'objet d'une ratification ultérieure par le Parlement, conformément à l'article 38 de la constitution. De plus, le Conseil constitutionnel a pu être saisi et a statué, même en urgence, sur la régularité de la procédure.

Par ce biais, les Présidents américains qui se sont succédés ont pu prononcer des sanctions commerciales (contre l'Iran en cours depuis 1979), contrôler les imports/exports de la nation, contrôler les télécommunications (le Président Trump peut prendre contrôle des communications par internet), contrôler les marchés publics, contrôler les transports maritimes (entre 1976 et 2007, ce pouvoir a été utilisé 42 fois).

 

Les décisions prises par le Président Trump sur le plan national et international

Le 13 mars 2020, le Président a déclaré un état d'urgence sanitaire et a crée un comité d'action de lutte contre le coronavirus. Le Congrès américain a voté des mesures d'aide financière sans précédent de 1500$ pour chaque famille américaine pour un budget global de 8,2 billion dollars. Le Comité d'action travaille en collaboration avec les administrations fédérales (Ministère de la santé et l'agence fédérale des situations d'urgence).

Ces pouvoirs sont donc extrêmement vastes. Le Président Trump a également fait application du Defense production Act (loi fédérale votée pendant la guerre de Corée), afin d'ordonner la production de ventilateurs et de matériels médical de protection par les entreprises privées américaines dont General Motors. Les administrations fédérales du Trésor, de l'agriculture, de l'éducation sont en action pour coordonner les actions des 50 Etats membres, alléger les règlementations fédérales ou suspendre les intérêts de prêts. L'un des outils majeurs de son action réside dans la loi Stafford (Stafford Act), qui permet au Président de puiser dans un budget fédéral de 40 billion$ pour acheter du matériel médical, des masques et en assurer leur distribution dans chaque Etat.

Le Président Trump se trouve dans une situation politiquement délicate, car il est candidat à sa réelection à la fin de l'année et d'aucuns voient, en chaque point presse sur sa gestion de la crise, une campagne électorale du candidat Trump. A cela s'ajoute un antagonisme, voire une haine, sans précédent, qui oppose républicains et démocrates. Il en résulte qu'en cas d'abus de pouvoir du Président, le Congrès ne serait pas réellement en mesure de pouvoir voter contre et d'exercer son contre-pouvoir. 

Le régime fédéral décentralisé a pour conséquences que les interdictions de réunions et les mesures de confinement relèvent des Etats et non du gouvernement fédéral. Dans l'histoire des Etats-Unis, il y eut de très rares occasions des mesures prises compromettant gravement les libertés individuelles : on peut citer les camps d'internement de japonais pendant la 2ème guerre mondiale ainsi que les détentions au centre de Guantanamo, après les attentats du 11 septembre 2001.

Depuis la déclaration de l'état d'urgence par le Président Trump, 16 millions d'américains ont perdu leur emploi. Le Président envisage de remettre bon nombre d'américains au travail en lançant un vaste programme de reconstruction des infrastructures: ponts, routes etc.., en prenant pour exemple les décisions audacieuses de remise en route de l'écononomie du pays par le "New Deal" du Président F.D. Roosevelt dans les années 1930, à l'époque de la grande dépression. Le taux de suicide dans certains Etats ruraux serait actuellement en très forte augmentation et aurait vraisemenblablement pour cause la perte d'emploi et de ressources. De nombreux américains n'ont pas d'économies, leur maison et voiture sont leurs seuls biens. Le droit du travail est réduit à sa plus simple expression.

Assurément, le Président Trump partisan d'une "America first" est déterminé à rapatrier une grande partie de la production industrielle américaine aux Etats-Unis.

Florence Caurand

Avocat aux Barreaux de Saintes (France) et du Massachusetts (USA)

21/04/2020

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