Le télétravail vu par un médecin du travail

08/05/2021 - 4 min. de lecture

Le télétravail vu par un médecin du travail - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Sophie Deschamps est Médecin du travail (Association française de médecine de prévention).

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Les établissements que je suis en tant que médecin du travail relèvent de la fonction publique. 

En 2020, au moment du premier confinement, le télétravail était très peu pratiqué dans l’ensemble des établissements soutenus. Étaient concernés essentiellement des agents en situation de handicap et quelques rares agents ayant des temps de transport conséquents ou des agents effectuant de nombreuses missions en métropole, en Europe ou hors Europe.

Si des textes relatifs au télétravail ont vu le jour récemment dans le ministère concerné, son développement a été assez modeste, essentiellement du fait de problèmes de sécurité informatique inhérents au travail effectué et au manque de culture en ce domaine des établissements, assez peu désireux dans l’ensemble, il faut l’admettre, de développer cette organisation du travail.

 

Une organisation difficile à mettre en œuvre rapidement lors du premier confinement

La mise en œuvre du télétravail nécessitait en pratique pour la grande majorité des agents des ordinateurs portables avec clé de cryptage, dont très peu ont pu bénéficier en urgence. 

Le travail établi souvent "en bordées" (rotation d’équipes) était donc très dégradé de ce fait et les agents étaient souvent dans l’incapacité de fournir à distance un travail satisfaisant dans la mesure où ils étaient dans l’impossibilité de se connecter sur certains sites essentiels. En l’absence de clé de cryptage, chacun a tenté d’importer des fichiers simples permettant de réaliser un travail annexe mais souvent considéré comme accessoire à domicile.

Une grande disparité entre établissements a été observée, selon l’organisation choisie, la nature de leurs activités et la mise ou non à disposition du matériel adéquat. Il a fallu aussi organiser un management adapté dans l’urgence.

 

Des réactions partagées des personnels

Finalement, il a été intéressant de constater :

  • que certains agents ont trouvé très pénible ce dispositif pour des raisons variées et évidentes : absence de moyen de travail adapté (fichiers cryptés non accessibles), absence de poste de travail convenable à domicile (installation pour certains sur leur canapé avec un petit portable, etc.), pas de débit suffisant, travail en présence de jeunes enfants, bruit ambiant… ;
  • la majorité a découvert et apprécié ce dispositif permettant de travailler au calme, avec un certain recul, sans la fatigue liée aux transports.

En parallèle, nombreux sont ceux qui m’ont dit s’être rendu compte de l’importance dans leur vie et pour leur équilibre de leur travail actuel, ce qui n’était pas toujours une évidence pour eux auparavant.

Les pauses, les réunions, les repas de midi avec leurs collègues leur manquaient par ailleurs cruellement, y compris d’ailleurs les petits heurts du quotidien, bref les interactions sociales professionnelles.

Finalement, beaucoup souhaiteraient poursuivre, hors période de crise sanitaire, un télétravail avec une proportion souhaitée de 1 à 2 jours de télétravail par semaine idéalement (voire 3/5 pour les agents ayant un temps de transport important). Certains métiers ne le peuvent naturellement pas, les agents concernés estimant leur travail trop dégradé par un tel dispositif, notamment les groupes projets et tous les métiers où des interactions permanentes avec autrui sont nécessaires.

Certains agents ont aussi des difficultés majeures à réaliser un travail correct à domicile et préfèrent un cadre plus spécifique pour restituer un travail qualitatif.

 

Le cas particulier des agents confinés à temps complet pour raison de santé

J’ai eu beaucoup de contacts avec ces agents présentant une pathologie parfois sévère majorant les risques en cas d’infection COVID.

Certains ont pu bénéficier d’un dispositif de télétravail adapté. Différents comportements ont été constatés : certains agents voulaient à toute force revenir en présentiel au moins à temps partiel et ce, à contrario des textes ministériels (ennui à domicile, absence d’interactions sociales ou travail trop dégradé, refus de se voir traité différemment), d’autres agents étaient très satisfaits d’être confinés car très effrayés par le risque Covid, ou simplement moins fatigués par l’absence de déplacement.

 

Les agents ayant des pathologies psychiatriques

Les agents ayant des pathologies psychiatriques constituaient un groupe qui a fait l’objet d’un suivi attentif :

  • J’ai constaté l’aggravation prévisible de l’état de nombreux agents du fait de l’ambiance générale anxiogène et du bouleversement de leur organisation de travail. Nombreux sont les agents qui vivent isolés, parfois sans contact social en dehors de leur travail. S’est posé le problème aigu du suivi adapté de ces agents.
  • A contrario, pour certains agents, le télétravail a été extrêmement bénéfique : loin du stress, des pressions ambiantes, du travail dans l’urgence, quelques patients ont vu leur état psychologique s’améliorer spectaculairement et leur traitement s’alléger notablement.

 

Pour conclure

Cette crise sanitaire a permis l’introduction ou du moins l’accélération de la mise en œuvre de nouvelles méthodes de travail au sein des établissements : visioconférences, télétravail, etc.

Leur mise en œuvre dans l’urgence n’a pas permis de tester ces dispositifs dans les meilleures conditions mais il est apparu évident qu’ils ont toute leur place dorénavant dans les établissements.

Reste à prendre du recul et à réfléchir à des adaptations à la carte, selon les caractéristiques des postes de travail, des dynamiques de groupes, mais aussi selon des données purement individuelles (trajet, configuration du domicile, santé, désidératas, etc.). 

En matière de recrutement, les candidats seront à l’avenir très attentifs à l’éventail des propositions des entreprises et établissements en matière notamment de possibilités de télétravail qui suppose une organisation du travail et un management spécifiques.

Sophie Deschamps

08/05/2021

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