Le télétravail vu par un ergonome

13/05/2021 - 16 min. de lecture

Le télétravail vu par un ergonome - Cercle K2

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Benoit Langlois est Ergonome, Psychologue du Travail & Formateur.

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La première question pour les non-spécialistes finalement est de savoir un peu ce qu’est l’ergonomie avant de la mettre en perspective avec le télétravail. Donc quelle est votre définition de l’ergonomie ? 

BL : L’ergonomie, c’est une discipline scientifique qui est souvent résumée aux yeux du grand public aux gestes, aux postures, aux chaises ergonomiques, etc., mais en fait c’est bien plus complexe. C’est une discipline qui essaie d’analyser l’être humain dans ses situations de vie, que ce soit la vie quotidienne ou la vie au travail, et qui essaie de comprendre ce qui influe sur leur quotidien, afin d’essayer d’adapter l’environnement dans lequel ils évoluent. Cela passe donc par l’analyse de l’Humain dans toutes ces dimensions. Chaque ergonome a un bagage différent. Moi, je suis psychologue du travail et ergonome, ce qui m’aide à comprendre l’être humain dans toute sa complexité, que ce soit dans ses interactions avec ses collègues, l’utilisation des outils – outils informatiques, outils physiques –, l’agencement des espaces, l’impact de l’organisation du travail, les compétences, les difficultés, etc. L’ergonome essaye de construire ainsi des diagnostics des situations, pour essayer soit de les améliorer, soit de les transformer tout simplement. Son périmètre d’action passe donc aussi par l’accompagnement de projet, par exemple dans le cadre d’une réorganisation au sein d’une entreprise, l’ergonome va essayer de mettre l’humain et son travail réel au cœur des préoccupations. Il peut aussi assister un déménagement par exemple pour comprendre la situation actuelle, et construire celle du futur avec les salariés concernés par le changement. C’est le même principe pour tout type de projet, qu’il concerne une organisation à faire évoluer, le développement d’une application ou encore une démarche d’amélioration des conditions de travail, l’ergonome va aider à comprendre l’existant pour trouver des idées, des pistes de réflexions et accompagner les évolutions. Pour comprendre la complexité du travail, l’ergonome observe et écoute directement sur le terrain, au plus proche du réel, il peut s’intéresser par exemple aux disfonctionnements d’un service, aux liens fonctionnels, aux équipements, aux difficultés, au sens du travail… son éventail d’analyse est assez large en fait. L’idée est avant tout d’analyser ce que fait l’être humain, et pourquoi il le fait, pour essayer d’en tirer des enseignements afin d’améliorer et transformer les choses.  

 

En quoi l’ergonomie peut-elle contribuer au télétravail puisque vous avez évoqué toute une série d’évènements dans l’entreprise, le télétravail étant finalement une modification substantielle du mode de travail. Donc en quoi l’ergonomie peut-elle contribuer au contrat de travail selon vous ?

BL : Elle peut y contribuer par son approche de ce qu’on appelle le "travail réel". L’ergonomie va s’intéresser à la manière d’une "grosse loupe" à ce qu’il se passe réellement au quotidien pour les gens, en fonction de leurs spécificités, leurs contraintes et leurs ressources. Ces derniers temps, en l’occurrence avec la crise sanitaire, on l’a vu, le télétravail est monté en flèche. Il y a eu trois grandes phases. Le télétravail n’est pas quelque chose de nouveau parce qu’il existait déjà de manière ponctuelle et contractualisée dans les entreprises ou structures publiques, sauf que la crise sanitaire et le premier confinement ont poussé les structures à mettre, par la force des choses et en particulier en activité tertiaire, 100 % de l’effectif en télétravail tous les jours. On a d’ailleurs parlé, à l’époque, non pas seulement de télétravail mais de travail à distance, qu’on pouvait même qualifier "de travail à distance forcé". C’est ce qui s’est passé dans la mesure où les gens se sont retrouvés brutalement sans leurs équipes en présentiel, avec des technologies qui ne marchaient pas forcément, et avec une organisation bien souvent inadaptée. C’était il y a quelques mois, bientôt un an même. On n’était pas en situation de "télétravail complet". Ce n’était pas une demande de chacun mais justement quelque chose de forcé, de subi. Par la suite, on l’a vu, les organisations ont mis en place des systèmes adaptés à du présentiel partiel, ou du "total télétravail". Et tout cela a évolué. Aujourd’hui, on est arrivé à un point où on a du mal à se dire qu’on va faire machine arrière sur le télétravail, chacun a vécu sa propre expérience, et beaucoup de gens, d’entreprises et de structures publiques y ont trouvé un intérêt. 

Pour répondre à la question, l’ergonomie accompagne les changements en comprenant le travail réel. L’ergonome peut donc instruire les questions visant à savoir comment cela se passait avant le changement, quel sont les critères et déterminants qui faisaient que cela fonctionnait bien ou pas. Cela permet aussi, dans ce cadre-là, de comprendre ce que les gens font au quotidien avant même de le transformer. Donc cela a déjà une plus-value, c’est-à-dire qu’avant de changer, on se demande quels sont les repères du quotidien, quelles sont les organisations réelles, les gestions d’aléas, les moyens d’entraide, la gestion de la charge de travail, les équipements utilisés, les interactions existant entre les gens, les liens fonctionnels pouvant être mis en lumière et qui demain auront une incidence dans le quotidien des télétravailleurs. Avec le télétravail, les gens se croisent beaucoup moins, donc qu’est-ce que cela implique de moins se croiser en termes fonctionnels ? Quels outils, équipements et méthodes peuvent être utilisés, par exemple, pour organiser une "réunion de travail en visio" ? À quelle fréquence ? Qu’est-ce qu’on met dedans ? Quelle thématique ? L’ergonomie va donc s’approcher de ce travail réel et essayer de le comprendre tel qu’il existe pour le projeter de la meilleure des façons possibles, pour éviter les impacts négatifs sur les conditions de travail, pour viser le bien-être et l’épanouissement professionnel, etc., tout en prenant en considération les enjeux de développement des structures. 

 

Quelles approches opérationnelles ergonomiques avez-vous déjà pu mettre en œuvre ? Vous avez déjà cité un certain nombre d’exemples qui permettent d’aller au-delà de la vision un peu biaisée qu’on pourrait avoir de l’ergonomie, à savoir qu’il s’agir de bien positionner l’écran et la chaise. C’est une vision très réductrice même si c’est un travail qui doit être fait, j’imagine, mais quelles approches opérationnelles, dans le cadre du télétravail, avez-vous déjà pu mettre en œuvre au-delà de celles que vous avez citées ? 

BL : J’ai eu l’occasion d’assister plusieurs projets de transformation. Depuis le début de la crise sanitaire, il y a eu 2 phases. D’abord, l’aspect plutôt "palliatif", visant notamment à faire face à la crise : comment on s’organise en ces temps troublés, comment on gère le travail, comment on gère aussi l’isolement de chaque individu, surtout quand ce n’est pas choisi. Donc cela va plutôt viser la recherche d’adaptation temporaire en attendant de réorganiser les choses de manière plus cohérente. Cela a été un premier chantier. Depuis, les choses se sont un peu plus planifiées. Puisque le télétravail prend de plus en plus d’ampleur, les espaces sont également de plus en plus vides et cette désertification des espaces a un impact non négligeable sur les surfaces de travail, avec en arrière-plan des enjeux financiers mais aussi en termes de dynamique de groupe, d’équipes, etc. Les systèmes managériaux et les managers sont d’ailleurs à accompagner en priorité. En fait, les managers sont en quelques sorte la clef de voûte du télétravail en tant que "chefs d’orchestre" d’une partition qu’ils n’ont souvent pas composé. C’est devenu très compliqué pour eux de gérer des personnes à distance ou en présentiel, voire les deux en même temps, et de gérer la charge de travail de chacun, les enjeux du travail collectifs, les aléas, les exigences de qualité, de productivité, etc.  

J’ai également pu participer à plusieurs projets dans lesquels j’ai eu l’occasion d’accompagner des transformations des espaces et de l’organisation liées au développement plus général du "travail nomade". Il faut bien garder en tête qu’espace et organisation du travail sont à considérer comme un package indissociable. Par exemple, on ne peut pas construire une situation de flex office en raisonnant uniquement en termes de calibrage du nombre de postes de travail, c’est-à-dire uniquement faire en sorte qu’il ait X nombre de postes pour X nombre de personnes. Le raisonnement d’un ergonome s’appuiera sur l’adéquation entre un espace et une organisation du travail cohérente, c’est-à-dire se poser des questions comme : comment fonctionne ce service ? Quels sont les besoins fonctionnels, en lien avec les réunions, la communication, la charge de travail, le management, la préservation ou la construction d’un collectif de travail, etc. ? Derrière, on va essayer de trouver une traduction spatiale à cette organisation-là, c’est-à-dire se dire comment on crée quelque chose qui tourne, une organisation qui tient la route, avec un management prévu pour du distanciel mais aussi du présentiel de temps en temps, par exemple, avec des réunions structurées et efficaces, avec un management de la charge de travail cohérent, avec la possibilité de ne pas se sentir isolé, de construire des collectifs de travail favorisant le soutien entre les salariés, etc. Voici la cible organisationnelle et, en fonction de cela, on va construire un espace qui va correspondre à cette cible-là. Mais le sens de ce chemin est important. Il ne faut pas d’abord se dire qu’on va rationaliser la surface, récupérer de l’espace, etc., et après se poser la question de comment on va pallier au problème et à l’organisation du travail. J’ai eu l’occasion de travailler avec plusieurs services, plusieurs entités dans ce sens-là, c’est-à-dire comment accompagner ce changement, en prenant en compte les besoins liés au travail à un instant T pour envisager le fonctionnement de demain, sans que cela ne soit délétère pour le travail et ses conditions de réalisation.  

 

Vous avez vraiment une vision globale et, quand on évoque le télétravail, finalement vous vous inscrivez dans l’organisation globale de l’entreprise et aussi dans le travail sur site. 

BL : En effet, c’est important comme nuance. Je n’oppose pas, par exemple, télétravail et le travail en présentiel. En fait, le télétravail, à l’origine, c’est avant tout une question liée à la gestion des ressources humaines d’une structure, qui donne un cadre pour travailler parfois à la maison, avec des dispositions, telles que le nombre de jours télétravaillés, le cadre horaire, etc. En tant qu’ergonome, on va plutôt s’intéresser à la composition présentiel / distanciel au regard de l’impact sur le réel du travail, sur le quotidien de chacun, sur l’organisation, le management, les collectifs de travail, la relation avec les usagers, à un service, etc. Le ratio présentiel / distanciel est important, mais pas suffisant pour s’assurer que le travail "est en bonne santé". Autant le travail en présentiel est géré depuis des dizaines, voire des centaines d’années dans les entreprises ou les structures publiques, autant manager les hommes et construire les choses à distance, voire en hybride (moitié présence – moitié distance), est quelque chose de nouveau. Le prisme de l’ergonomie propose donc une vision globale qui ne se concentre pas uniquement sur le télétravail en tant que tel, mais sur la structuration d’une organisation partiellement ou totalement nomade, répondant aux enjeux de qualité, de productivité et de conditions de travail. 

 

Sur le télétravail, quand le travailleur n’est pas en présentiel, avez-vous mis en œuvre certaines actions spécifiques, au-delà de cette vision globale, par exemple sur le matériel à disposition, des choses plus classiques peut-être ?

BL : En fait, c’est une réflexion qui était déjà engagée plusieurs années avant la crise de la Covid. Ce qu’on a constaté, c’est qu’au démarrage du télétravail, si on se concentre uniquement d’un point de vue équipement / installations, etc., il y a beaucoup de gens qui étaient finalement mal installés chez eux parce qu’ils travaillaient depuis leur canapé, qu’ils n’avaient pas de pièce dédiée, etc. Ce qui s’est passé c’est qu’on a essayé aussi d’amener des choses sur l’environnement de travail, physique et organisationnel, ne serait-ce que de pouvoir avoir une pièce vraiment dédiée au travail et non pas essayer de travailler dans des pièces de vie. Si le logement n’a pas de pièce dédiée, on peut aussi jouer sur des "délimitations symboliques et visuelleé" avec des brises-vue ou des plantes, par exemple. C’est également important d’essayer de reproduire un environnement au plus proche de l’environnement tel que l’on a généralement l’habitude d’avoir au bureau, par exemple avoir un écran indépendant, un clavier indépendant, une souris indépendante. C’est pareil, le travail prolongé sur un ordinateur portable est à éviter. Ça passe quand on est dans le train par exemple, mais, à la longue, cela peut conduire à des troubles pour la santé. Si on reste sur le sujet de l’environnement physique, il faut essayer de "recréer" un poste de travail adapté, de préférence avec un plan droit, une chaise de bureau sur roulette réglable en hauteur, etc. Lorsqu’on télé-travaille à la maison, la frontière entre vie professionnelle et vie privé est souvent maigre. L’organisation individuelle est donc primordiale. Par exemple, s’habiller "comme au bureau" pour démarrer la journée, fermer la porte de son bureau une fois la journée terminée, se donner des horaires précis, des temps de pauses définis, etc., sont des petites dispositions utiles qui, mises bout à bout, peuvent aider à mieux gérer l’hermétisme vie professionnelle / vie personnelle. Le sujet de la vie familiale est aussi complexe à gérer. Il peut arriver, par exemple, que le mercredi, les enfants soient à la maison. Il faut trouver les moyens pour que qu’ils ne viennent pas vous déranger tout le temps (pareil pour son conjoint), en créant des règles claires et partagées par les membres du foyer par exemple. L’idée de reproduire des routines "un peu comme au bureau" peut également contribuer à réduire le sentiment d’isolement : créer une visio pour partager un café avec ses collègues le matin ou en fin de journée ; créer des événements, ce n’est pas parce qu’on n’est pas ensemble physiquement qu’on ne peut pas fêter l’arrivée d’un nouveau collègue, un départ à la retraite, une naissance, un mariage, etc. Évidemment, il y a aussi tout l’aspect organisation générale du travail que nous avons déjà un peu évoqué tout à l’heure, notamment autour de la gestion de la charge de travail, la valorisation des tâches, le suivi, le lien avec les managers, le soutien entre collègues qui ne se voient pas ou même qui ne se connaissent pas pour certains, etc. Mais ces enjeux incombent davantage à ceux qui régisse "le travail" qu’aux télétravailleurs. 

 

À votre avis, le télétravail constitue-t-il un facteur de risque de développement par exemple des TMS (troubles musculo-squelettiques) ?

BL : Si on se centre uniquement sur les TMS, oui, c’est un risque sur lequel vous voulez un focus. Les principaux facteurs de TMS pour le travail sur informatique sont les gestes répétitifs et les postures contraignantes. S’agissant des gestes répétitifs, peu de choses semblent changer par rapport au travail informatique en présentiel. En revanche, s’agissant des postures contraignantes, cela dépend. Au bureau, on est dans un environnement que l’administration, l’entreprise, etc., met à disposition, en théorie, avec des espaces et équipements adéquats au regard des normes en vigueur et du Code du travail. À la maison, comme je l’expliquais, les gens peuvent rapidement se retrouver dans des postures contraintes, notamment parce qu’ils n’ont pas les marges de manœuvre dans leur petit appartement par exemple. À la longue, il y a un réel risque pour la santé. Gardez en tête que la "bonne posture" n’existe pas et que, finalement, "la bonne posture" est celle qu’on choisit et que l’on peut quitter. Ne serait-ce que d’avoir plusieurs possibilités, de pouvoir travailler un peu debout sur un plan de travail, d’avoir un bureau fixe, de pouvoir régler en hauteur sa chaise / son bureau, etc., cela peut changer des choses. Il faut aussi souligner qu’il existe un lien entre apparition de TMS et stress au travail qu’on classe généralement dans la catégorie des Risques Psycho-Sociaux (RPS). Je ne vais pas ouvrir la boîte de Pandore ici, surtout que la dimension psycho-sociale est complexe à aborder. Gardons simplement en tête que, comme pour la ressource physique, la ressource psycho-sociale peut être dégradée ou, au contraire, développée en fonction des choix qu’une entreprise fait pour structurer le travail… et a fortiori le télétravail. 

 

D’où le lien avec tout le travail en amont que vous faites pour essayer justement de créer et de maintenir un lien. À votre avis, les entreprises ont-elles intégré l’ergonomie dans le télétravail ou bien l’ergonomie est-elle la grande oubliée du télétravail ? Il y a eu l’étape de l’état d'urgence. Mais, selon vous, depuis le mois de septembre / depuis l’été, les entreprises ont-elles intégré l’ergonomie dans cette démarche ou cela reste-t-il assez marginal ?

BL : Ce qu’il faut avoir en tête c’est qu’en théorie, pour faire de l’ergonomie, il faut être ergonome. Il faut un Master en ergonomie avec différentes spécialités. Il y a peu d’ergonomes. En France, on est environ 3000. Il y a beaucoup moins d’ergonomes que de projets qui transforment chaque jour un peu plus le travail. Les entreprises et structures publiques qui se sont dotées d’ergonomes en interne peuvent s’appuyer sur eux quand elles les ont identifiés comme utiles. D’autres font appel à des prestataires ou aux ergonomes en service de santé au travail quand elles ont aussi pu identifier l’importance de l’ergonomie, mais il y a aussi une grande majorité de structures qui ne font pas appel à des ergonomes, soit parce qu’elles n’en connaissent pas, soit parce qu’elles pensent qu’on s’occupe des chaises, des tables et des gestes et postures. Difficiles de faire du lien avec les grands projets de transformation de l’organisation du travail par exemple. Donc elles font comme elles peuvent. De fait, sans ergonome, elles ne peuvent pas s’appuyer sur une approche ergonomique, mais certaines entreprises arrivent par elles-mêmes à prendre en compte le travail réel, à essayer de faire des choses qui soient le moins délétère possible pour les conditions de travail. Ce qui est sûr c’est que chaque structure fait des choix stratégiques, notamment d’un point de vue RH. Le fait d’embaucher ou non des ergonomes en appui aux projets de transformation influe de fait sur sa capacité à bien comprendre le "travail réel" et à anticiper "le travail projeté".  

 

Le télétravail peut-il être un atout pour l’ergonomie au travail au sens général, pour que l’ergonomie soit prise en compte ?

BL : C’est un point de vue relativement personnel mais, en tant qu’ergonome et psychologue du travail, je considère qu’il y a sûrement, dans le sillon du télétravail massif, une opportunité de se reposer les questions du travail tout court. Là où les sujets du mal-être et de la perte du sens du travail ont, par le passé, bien-souvent été mis sous le tapis, ou parfois considérés comme faisant "partie du boulot", peut-être que le télétravail, la crise, etc. ont conduit à se questionner à nouveau sur le travail lui-même, en tant qu’objet sur lequel on peut agir, et qui peut être autant source de souffrance que d’épanouissement. Je vous donne un exemple simple. Quelqu’un qui était en sous-charge de travail ou qui passait beaucoup de temps à faire des tâches peu valorisées et qui se retrouve en travail distanciel total ou partiel chez lui, jusqu’à présent, tant qu’il était au bureau, on se disait que "ce n’est pas grave, son travail, c’est de venir travailler". Mais quand il se retrouve chez lui et que tout d’un coup on se pose la question de sa charge de travail, du sens de son travail et de ce qu’il peut apporter à l’entreprise, c’est un véritable coup de pied dans la fourmilière qui a un impact énorme pour le salarié mais aussi pour sa structure d’embauche. Bref, tout ça pour dire que c’est ma façon à moi de voir le verre à moitié plein. Peut-être que cette crise sanitaire et le télétravail massif est aussi une opportunité sans précédent pour remettre au débat la façon de concevoir et de considérer le travail lui-même. 

 

Merci pour cette vision globale. Par ailleurs, comme vous le savez sans doute, il y a eu un accord interprofessionnel sur le télétravail, paru le 26 novembre dernier. En le parcourant, le mot "ergonomie" n’est jamais cité mais je comprends que votre matière, finalement, vous souhaitiez l’intégrer dans l’organisation plus générale de l’évaluation des risques et de tous les traitements qui peuvent être opérés. Il faudrait sans doute sensibiliser davantage, notamment les représentants du personnel. Je ne sais pas s’ils sont particulièrement connaisseurs de la notion mais, en tout cas, il me semble que votre démarche s’inscrit parfaitement dans le cadre de la prévention au sens général. Ce serait donc intéressant de les sensibiliser, et plus particulièrement les élus de la Commission santé-sécurité. Avez-vous eu l’occasion d’en parler avec des élus ex-CHSCT par exemple ? 

BL : Il n’y a pas d’instance suprême à laquelle nous avons eu accès. Cela dépend effectivement de chaque ergonome et de son positionnement dans l’entreprise, de son réseau, de ses opportunités. En ce qui me concerne, aujourd’hui, j’échange souvent avec les autres acteurs de la santé-sécurité au travail. Le dialogue social et le lien avec les CSE sont, à mon sens, primordiaux. Plus globalement, le grand problème actuellement est la méconnaissance du grand public de notre discipline et de son apport réel. L’ergonomie est malheureusement dans l’ombre des idées reçues qu’on les gens, et du marketing de masse offert aux "objets ergonomiques" que l’on voit à la télévision. C’est un peu notre fardeau. Dépenser autant d’énergie à se faire connaître et justifier notre plus-value qu’à pouvoir agir en faveur des conditions de travail. Mais j’ai bon espoir pour que cela change.

Benoit Langlois

13/05/2021

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