Faut-il décerner une médaille de l’erreur ?

11/05/2021 - 5 min. de lecture

Faut-il décerner une médaille de l’erreur ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

René Picon-Dupré est ancien DRH, Consultant RH et management.

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"Errare humanum est, perseverare diabolicum"[1]

Cette citation, empruntée à un auteur de la Rome Antique, pourrait, à elle seule, illustrer mon propos. Et nous pourrions en citer beaucoup d’autres plus récentes, tout aussi impertinentes en apparence.

Quel paradoxe que de célébrer l’erreur, certains diront l’échec ! C’est là où l’on sent le poids de notre civilisation judéo-chrétienne qui confond un peu vite péché, faute et erreur. Si le premier a une connotation religieuse ou morale et si la deuxième fait plutôt allusion à un acte intentionnel, l’erreur est pardonnable et un moyen de progresser, tout au moins c’est que je vais essayer de vous démontrer.

Contrairement à notre culture où l’échec peut laisser un goût amer à celui qui l’éprouve, en Amérique du Nord, au contraire, l’erreur est valorisée et on en parle. Lors des sessions de recrutement, outre-atlantique, un profil qui a connu l’échec suscitera de l’intérêt. On y verra la garantie d’une expérience vécue et d’un apprentissage visant à l’amélioration. L’erreur, perçue comme la conséquence d’une tentative et d’un effort se doit d’être valorisée : une fois corrigée, elle permet de rebondir vers de nouvelles perspectives. 

Même l’État français, dans une loi de 2018[2], a reconnu qu’un citoyen pouvait commettre une erreur de bonne foi, dans ses relations avec l’administration, en créant un droit à régularisation en cas d’erreur[3].

Pour autant, je voudrais surtout élargir le propos, car cette question ne saurait concerner que les relations avec l’État, mais finalement toute notre vie et notamment notre vie au travail.

Et, dans notre vie professionnelle, au moment où l’on prend de plus en plus conscience de la qualité de vie au travail, du "bonheur au travail" et du fait que plus un salarié, quel que soit son niveau dans la hiérarchie, sera d’autant plus efficace qu’il se sentira reconnu et qu’il jouira d’une autonomie conforme à son niveau de responsabilité, cette notion devrait être au centre des méthodes de management.

Elle peut d’ailleurs s’appliquer aussi bien au manager qu’au subordonné :

  • Le manager est lui-même le subordonné de quelqu’un d’autre. Mais, dans la majorité des cas, en sa qualité de chef, son droit à l’erreur se traduira par sa capacité à admettre que lui aussi peut se tromper et que le fait de reconnaître ses erreurs vis-à-vis de ses subordonnés ne le met pas dans une situation difficile, mais au contraire crée une relation plus humaine et de nature à progresser ensemble.
  • Pour le subordonné, le droit à l’erreur se traduira par le fait qu’elle ne conduit pas systématiquement à sanction, qu’elle rend les relations de travail moins anxiogènes et qu’elle contribue aussi à une meilleure relation de travail.

Et, si pour comprendre les bienfaits de l’erreur, on revenait à l’étymologie ?

Le mot erreur vient du latin errare qui signifie "se tromper" mais a également généré le verbe "errer". Et de fait, le droit à l’erreur c’est aussi le droit d’errer. Entendons-le au sens de chercher, la connaissance passant certes par l’expérience des autres avant nous, mais aussi par celles que nous faisons nous-mêmes, individuellement ou collectivement. 

Et de la recherche naît l’innovation et découle le progrès.

Pour revenir au management, reconnaître le droit à l’erreur c’est :

  • Apprendre à distinguer erreur et faute : l’erreur contrairement à une faute est un acte involontaire, ponctuel et effectué en toute bonne foi mais généralement par ignorance. La faute est, elle, volontaire, répétitive, effectuée en connaissance de cause et allant à l’encontre de règles explicites et connues.
  • Rester modeste et accepter que tout le monde peut se tromper et que personne ne détient la vérité absolue, sauf dans certains domaines techniques (et encore ?).
  • Savoir se remettre en question sans avoir le sentiment d’être déconsidéré ou de perdre la face[4].
  • Échanger sur les causes de erreurs, ce qui est un moyen de ne pas les commettre de nouveau et de mettre en place de nouvelles procédures plus efficaces.
  • Prendre conscience qu’on apprend de ses erreurs[5]. Même dans la formation, il convient d’admettre que l’apprentissage n’est pas un processus linéaire. Il passe par essais, tâtonnements, erreurs, échecs[6]. Et, de fait, les travaux pratiques constituent la mise en œuvre de ce principe. Il en est de même des formations où les apprenants sont mis en situation de faire des erreurs sous le contrôle d’un moniteur : apprentissage, permis de conduire, pilotage d’avion, etc.
  • Développer le goût du risque et de l’innovation : si l’on sait qu’on ne sera pas sanctionné en cas d’erreur, on sera plus enclin à "se lancer" et à tenter des nouveautés[7].
  • Bénéficier d’un droit à reconnaissance : la possibilité de se tromper sans encourir des foudres managériales, c’est pouvoir tester et exprimer librement ses idées et contribuer ainsi à l’amélioration du travail, et être reconnu en tant que participant pleinement aux améliorations et à la performance... et ressentir moins de stress.
  • Prendre en compte le contexte : tel qui n’a pas brillé dans une entreprise s’épanouira dans un autre écosystème et mettra à profit ses difficultés passées pour réussir ailleurs.

Et, d’ailleurs, certains grands patrons et recruteurs commencent à revenir du dogme TSE (tout sauf l’échec) et considèrent qu’il est important pour un candidat de savoir parler de ses échecs et des leçons qu’il en tire.

Rappelons que les actuels grands patrons américains ont souvent connu des expériences malheureuses avant de briller au firmament.

Et Bill Gates de déclarer : "le succès est un enseignant moche. Il conduit les gens intelligents à croire qu’ils ne peuvent pas perdre".

Mais, bien sûr, n’allons pas trop loin : il ne s’agit pas d’ériger l’erreur en mode habituel de fonctionnement. Une entreprise n’est pas la 7° compagnie ! Une erreur, un échec, oui, si elle est ponctuelle et peut être la base d’un rebond ; mais on ne peut accepter que ce soit forcément une habitude ! D’autant que certaines erreurs peuvent être lourdes de conséquences notamment si elles mettent en cause la vie humaine : celle d’un chirurgien, d’un pilote de ligne ou d’un ingénieur qui construit un pont aura un impact beaucoup plus lourd que d’autres qui sont plus facilement rattrapables et sujettes à discussion[8]

L’erreur est un droit, pas un devoir[9]

Mais l’accepter est sans doute un moyen de rendre les entreprises et les organisations plus humaines.

Et, pour finir, peut-être qu’en écrivant cette tribune, je viens d’utiliser mon droit à l’erreur !

René Picon-Dupré

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[1] Il est humain de se tromper, persévérer (dans son erreur) est diabolique.

[2] Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.

[3] "Une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l'objet, de la part de l'administration, d'une sanction,pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d'une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué"

[4] John Fitzgerald Kennedy : "la plus grande erreur que vous puissiez faire dans la vie, c'est d'avoir peur de faire des erreurs".

[5] Nelson Mandela : "je ne perds jamais. Soit je gagne. Soit j’apprends".

[6] Jean-Pierre Astolfi, L’Erreur, un outil pour enseigner, ESF éditeur, 2014.

[7] Ernest Renan : "quand on a le droit de se tromper impunément, on est toujours sûr de réussir".

[8] Dans une conférence prononcée en 2006, lors d’un colloque sur l’erreur à l’Institut de France, Pierre Mazeaud, alors Président du Conseil constitutionnel, listait les erreurs dont le Conseil avait à connaître, mais aussi celles qu’il pouvait, malheureusement, commettre aussi lui-même. À cette occasion, il classait les erreurs par degré de gravité et considérait que les moyens de les traiter devait être adapté à leur importance.

[9] Pierre de Ronsard : "On a le droit de faire des erreurs mais on a le devoir de les corriger".

11/05/2021

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