Du télétravail 1.0 au télétravail 3.0

24/05/2021 - 3 min. de lecture

Du télétravail 1.0 au télétravail 3.0 - Cercle K2

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François-Xavier Oliveau est Associé d'Initiative & Finance et auteur. Il est lauréat du Prix Turgot en 2018.

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Les crises sont d’incroyables accélérateurs de tendances. L’abominable Grande guerre, par exemple, a contribué aux progrès de l’aviation, la médecine, la production de masse, la cryptographie ou la photographie. La crise de la Covid-19 aura, quant à elle, produit une accélération phénoménale de toutes les activités liées ou facilitées par le numérique, et notamment le télétravail.

Ce développement prolonge toutefois des tendances de long terme. Notre vision traditionnelle du travail répondait aux règles de la tragédie classique. Unité de temps : un horaire bien défini et déterminé ; unité de lieu, le "lieu de travail" ; unité d’action : un rôle clairement défini par une fiche de poste bien documentée. Contrat de travail et règlement intérieur permettaient de formaliser ces règles.

Ces règles volent en éclat depuis plusieurs décennies déjà. L’essor du télétravail n’est au fond que l’une de ces ruptures, avec l’essor des modes de mission contractualisées ("gig economy"), le multi-emploi, l’évolution rapide des contours de postes, l’invention rapide de nouveaux métiers, le besoin vital de formation tout au long de la vie ou encore la fin des logiques de carrière.

Avant la crise, nous vivions en quelque sorte le "télétravail 1.0" : l’apanage de pionniers, essentiellement des personnes avec des contraintes familiales, ayant la chance de travailler pour des employeurs compréhensifs. Ce télétravail ne concernait en 2015 qu’environ 15 % des salariés. C’était déjà bien plus que vingt ans plus tôt : un rapport de Thierry Breton en 1993 recensait en France 16 000 télétravailleurs. 

La crise Covid-19 est l’étape 2.0. Elle a poussé le modèle à l’extrême. Parmi ses apprentissages et ses legs, on trouve notamment la mise en place d’outils informatiques dans de nombreux cas ; l’adoption universelle de la visioconférence ; l’apprentissage de modes de management plus adaptés avec l’obligation de fait de déléguer ; la prise de conscience de la variété des appétences au télétravail, en fonction des postes, des tempéraments et des conditions pratiques (logement, structure familiale) ; l’évolution de la vision du déplacement physique, autrefois nécessaire à une bonne réunion, désormais facultatif, voire néfaste sur le plan environnemental dans le cas d’un transport aérien ; enfin, la découverte par de nombreux employeurs, a priori hostiles, que le modèle était acceptable, voire productif.

Mais nous avons aussi perçu les limites du télétravail, l’importance essentielle des conditions matérielles, le risque d’épuisement moral, le besoin vital de contact physique. L’héritage du télétravail 2.0, c’est donc, pratiquement pour toutes les entreprises, la vision d’un modèle hybride présentiel / distanciel à inventer.

Après l’ère des pionniers et celle du télétravail subi, place donc au télétravail 3.0. L’enjeu est désormais de construire une forme de télétravail librement choisi, dans une logique de confiance, avec des règles claires et des conditions pratiques de qualité. Parmi celles-ci, il faut s’attendre vraisemblablement à l’explosion des tiers-lieux : des espaces de co-working, proches des domiciles donc localisés dans les zones résidentielles, cumulant les avantages : baisse du temps de trajet, bonnes conditions de travail, lieu de rencontres sociales, adaptation de la surface occupée aux besoins du moment.

Un bel enjeu pour le secteur de l’immobilier, car le développement de ces lieux va se combiner avec les mutations profondes du commerce de proximité, qui vont libérer des espaces. En revanche, les entreprises qui s’attendaient à voir baisser leurs coûts grâce à la baisse de leurs surfaces de bureaux risquent de déchanter : entre la participation à l’équipement à domicile et, vraisemblablement, la nécessité de fournir à leurs salariés la possibilité de travailler depuis ces tiers-lieux, l’impact net est encore peu clair.

Mais les dirigeants n’auront pas le choix. La mise en place d’une flexibilité dans le lieu de travail va être, à court terme, un facteur d’attractivité ; à moyen terme, un "must have", un élément de base du contrat de travail sans lequel les entreprises ne seront plus capables d’attirer les meilleurs talents. Les plus rapides à mettre en place et inventer un modèle adapté à leurs contraintes et celles de leurs contributeurs, salariés ou non, à temps plein ou partiel, pourront ainsi construire, au moins pendant les années qui viennent, un avantage concurrentiel fondé sur des équipes de qualité et plus productives.

François-Xavier Oliveau

24/05/2021

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