Crise sanitaire, télétravail, management... Et notre cerveau dans tout cela ?

05/05/2021 - 7 min. de lecture

Crise sanitaire, télétravail, management... Et notre cerveau dans tout cela ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Erwan Deveze est Dirigeant fondateur de Neuroperformance Consulting, Auteur-conférencier et Coach.

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La crise sanitaire de la Covid-19 a provoqué de nombreux bouleversements dans nos vies au quotidien, dont notamment la généralisation du recours au télétravail. Choisie ou subie, cette évolution a, de fait, modifié notre mode managérial, notre relation aux autres et, plus largement, notre organisation sociétale. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter du point de vue du fonctionnement de notre cerveau ? Rapide tour d’horizon des effets neuronaux induits à court et plus long termes.

 

De la prééminence du cerveau social… 

Notre cerveau (et plus particulièrement notre cortex, structure cérébrale la plus récente et élaborée) s’est développé au cours de l’évolution grâce à l’altérité et la coopération. Partager, échanger, s’écouter, s’entraider, faire équipe sont des besoins vitaux pour "l’être social" que nous sommes, une dimension mise à mal par les confinements et le travail à distance que nous subissons depuis bientôt un an. Les très sérieuses problématiques de santé mentale que nous observons actuellement proviennent, en grande partie, de ce manque de contacts sociaux.

Les nouvelles technologies, et tout particulièrement la visioconférence, nous ont permis tant bien que mal de conserver un lien avec l’autre et de poursuivre notre activité. Il faut se réjouir sur le court terme et sans la moindre réserve de l’apport de ces nouvelles technologies. Imaginez une seconde dans quel désarroi nous nous serions trouvés si nous n’avions pu eu ces outils à disposition ? Sur un espace-temps de plus long terme néanmoins, il est vraisemblable que ces outils à distance atteignent rapidement leurs limites, et ce pour de nombreuses raisons dont les trois suivantes :

  • Rien du point de vue cérébral ne remplacera jamais la richesse des échanges en présentiel entre deux ou plusieurs personnes. Ceci fait référence au système neuronal miroir qui agit comme une véritable wifi neuronale entre les individus. Ces groupes spécifiques de neurones "miroirs" stimulent l’apprentissage par mimétisme inconscient et nourrissent les relations interpersonnelles en synchronisant les cerveaux (ce que le langage populaire traduit par le fait d’être "sur la même longueur d’onde"). La contagion émotionnelle positive, à titre d’exemple, est le fruit de l’activation à plein de ce système miroir qui ne fonctionne jamais aussi efficacement qu’en présentiel.
  • Le recours abusif et non maîtrisé aux technologies online représente un coût cognitif et émotionnel extrêmement élevé pour chacun-e de nous. Les visioconférences en particulier sont beaucoup plus sollicitantes en termes d’énergie cérébrale que les rendez-vous en présentiel et entraînent immanquablement une fatigue mentale cumulative. Elles ont, par ailleurs, des effets collatéraux pour le moins étonnants : savez-vous quelle profession explose littéralement depuis un an ? Les chirurgiens esthétiques spécialisés visage ! À force de nous scruter à l’écran matin, midi et soir, le poids des années et/ou nos petits défauts physiques nous sautent davantage aux yeux. Gare aux problématiques d’estime de soi dans une société esclave du regard social et de la tentation narcissique…
  • Le télétravail peut entraîner une plus grande sédentarité, ce qui nuit à notre vitalité cérébrale, notre cerveau étant alors moins bien vascularisé, nourri et oxygéné. Conséquences, une neurogénèse freinée (création de nouveau neurones) et des connections synaptiques (connexions entre neurones existants) de moindre qualité, ce qui entraîne une baisse de notre capacité cognitive et émotionnelle. La surexposition à la lumière bleue de nos écrans par ailleurs peut, pour certain-e-s, provoquer des troubles du sommeil en raison d’un dérèglement du rythme circadien jour / nuit. Ce risque est d’autant plus à surveiller que le télétravail a pour effet de déstructurer le temps puisque nous passons le plus clair de nos journées à la maison sans nos rendez-vous et rituels que nous avions auparavant (réunions, déjeuners de travail, pauses café, etc.). 

Une question essentielle dès lors se pose : faudra-t-il, devant de tels risques, fuir le télétravail une fois la crise sanitaire terminée ? Ce sera à coup sûr une tentation à laquelle nos cerveaux seront soumis pour de bonnes raisons… et des moins bonnes !  

 

Vers un management plus humain, éclairé et efficace

L’irrépressible envie de retrouver ce lien social qui nous aura tant manqué conduira une majorité d’entre nous à vouloir, dès que possible, retourner en mode présentiel. Il faut s’en réjouir. Gardons à l’esprit que l’être humain se construit et s’épanouit avant tout au contact de l’autre.

Parallèlement, les managers éprouveront un besoin naturel, presque viscéral, à revenir "au connu" et à leurs bonnes vieilles pratiques du passé, de sorte de pouvoir exercer et satisfaire leur besoin de contrôle sur leurs équipes et leur activité. Il ne faudra pas les en blâmer ; il s’agit là d’un besoin psychologique fondamental pour le cerveau. Si ce dernier se nourrit en effet du changement, il n’aime rien d’autre que la routine afin de pouvoir se mettre en mode pilotage automatique. C’est là l’un de ses grands paradoxes !

La tentation de revenir au mode managérial antérieur sera ainsi forte mais, pour autant, pas forcément la meilleure option. Le développement du télétravail a, en effet, démontré par l’exemple qu’il nous était parfaitement possible de travailler autrement, de perdre moins de temps (transports, réunionite, etc.), de simplifier les process, de jouer davantage la carte de la confiance et de l’autonomie des équipes, etc. Autant d’avancées précieuses que nous n’aurions certainement pas réalisées à ce rythme et à cette échelle si nous n’avions pas été contraints et forcés de nous adapter à cette "nouvelle normalité". Cette évolution vers un management moins vertical et coercitif est, de ce point de vue, bien plus adaptée aux spécificités et besoins de notre cerveau. L’immense défi qui se posera aux managers, et qu’il ne faudra pas sous-estimer, sera ainsi de pouvoir intégrer à leur management les réussites de la période Covid. À cet égard, il convient, dès aujourd’hui, de précisément recenser et formaliser ces nouvelles bonnes pratiques nées de la crise pour pouvoir capitaliser dessus à plein le moment venu.

 

Le retour en force du sens  

Les crises ont toujours l’irremplaçable vertu de nous ramener à l’essentiel et la Covid-19 ne fera pas exception à la règle. Beaucoup de leaders, de managers, de collaborateurs se sont posés au cours de la dernière année des questions plutôt inédites (et très pertinentes !) autour du « pourquoi » de leur action individuelle et collective, de leur valeur-ajoutée sociétale, de leur raison d’être… Là encore, il faut se réjouir de ces questionnements existentialistes et de ce magistral retour en force du sens. Il était grand temps, diront certain-e-s. 

Le métier de manager s’est transformé de manière significative au cours de la dernière année. D’une fonction relativement sédentaire responsable de la bonne exécution des tâches, le manager est devenu un nomade fédérateur, initiateur, facilitateur, libérateur… Les statuts à l’intérieur de l’entreprise ont logiquement évolué avec un effet d’aplatissement de la hiérarchie et une plus grande authenticité et sincérité dans les rapports humains. Beaucoup se sentent aujourd’hui plus libres, dans ce contexte de crise, d’exprimer leurs légitimes vulnérabilités et fragilités… Enfin ! Là encore, l’évolution est positive, les crises ne devant pas être vécues comme des fabriques de héros mais bien comme des moments de vérité et de solidarité collective. 

Je ne crois pas aux discours grandiloquents et sentencieux sur le mode "plus rien ne sera comme avant". Spécialiste des situations de crise, je ne sais que trop combien ces belles promesses sont rapidement remisées au placard à l’épreuve de la réalité.

Je crois profondément en revanche en la force de la résilience, en notre capacité à évoluer et progresser, en la co-construction se nourrissant directement des enseignements du terrain, en la responsabilité individuelle et collective, en la réactivité et la libération des énergies, en l’exemplarité et la puissance de la contagion émotionnelle positive, en l’audace et la prise de risque. La crise Covid est une fantastique opportunité, non pour créer un nouveau monde fantasmé sorti de nulle part, mais bien pour améliorer significativement notre monde existant, point par point, étape après étape, avec ouverture, méthode et rigueur. Une évolution pensée et déterminée plutôt qu’une révolution improvisée et destructrice en somme.

Place à l’action résolue ! Pour notre cerveau, agir concrètement réhausse notre sentiment de contrôle et diminue de facto nos peurs, ruminations et projections anxiogènes. On subit moins les événements, ce qui se traduit positivement sur notre neurobiologie avec des niveaux de dopamine, sérotonine, ocytocine à la hausse et, à l’inverse, un niveau de cortisol (hormone du stress) à la baisse. On reprend alors la main sur notre destinée individuelle et collective ; on quitte nos habits de sachants pour redevenir des apprenants curieux de tout et désireux de progresser. 

"Il est possible de trouver un sens à l’existence, même dans une situation désespérée où il semble impossible de changer son destin", écrivait le neuropsychiatre Viktor Frankl avant de conclure : "l’important est de faire appel au potentiel le plus élevé de l’être humain, celui de transformer une tragédie personnelle en victoire, une souffrance en réalisation". 

Voilà tout notre défi. À nous de jouer en nous montrant confiants, attentifs, concentrés, positifs, et ce sans nier ou relativiser aucune des difficultés se présentant devant nous.

2021 promet d’être une année passionnante, tous sur le pont !

Erwan Deveze

05/05/2021

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