Coronavirus : une crise sanitaire qui met à l’épreuve notre capacité d’adaptation

06/04/2020 - 9 min. de lecture

Coronavirus : une crise sanitaire qui met à l’épreuve notre capacité d’adaptation - Cercle K2

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François Mattens est directeur des affaires publiques et de l'innovation du GICAT.

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Les restrictions de déplacements, le confinement et les mesures de distanciation mettent à rude épreuve l’animal social que nous sommes toutes et tous. Cette crise est un test grandeur nature, à l’échelle mondiale, de nos capacités d’intelligence collective, d’adaptation et de résilience. Au front, cette pandémie est combattue par nos personnels de santé et chercheurs. En soutien, nos forces de l’ordre et acteurs économiques assurent une continuité d’activité permettant de subvenir à nos besoins impérieux et maintenir la paix sociale.

Répété maintes fois, le rempart le plus efficace pour lutter contre la propagation de ce virus, est la distanciation sociale. C’est donc vous ! « Pensez-aux autres, restez chez vous », belle situation oxymorique me direz-vous. Cette règle d’or est malheureusement là pour durer et va certainement bouleverser nos modes de vie, pour encore un moment.

Pour endiguer le coronavirus, nous devrons changer radicalement notre manière de travailler, de faire de l’exercice, de faire nos courses, de se soigner, d’éduquer nos enfants, de gérer nos relations avec nos proches.

Habitués à l’instantanéité, citoyens plus ou moins dociles d’une dictature de l’urgence[1], notre réflexe cognitif est de nous persuader que tout cela va bientôt revenir à la normale. Cependant, la plupart d’entre nous ne réalisent pas encore : les choses ne reviendront pas forcément à la normale après quelques semaines, voire quelques mois. Certaines de nos habitudes et mœurs pourraient être impactées en profondeur et durablement.

Comment « aplatir la courbe » le plus rapidement possible et durablement ?

Malgré une réticence initiale du Royaume-Uni, chaque pays a désormais pour objectif “d’aplatir la courbe” en imposant une distanciation sociale pour ralentir la propagation du virus. Et ce, afin que le nombre de malades graves, nécessitant une hospitalisation, ne provoque pas d’effondrement de notre système de santé, à l’instar de l’Italie. Cette pandémie va durer, avec une « ligne de flottaison » la plus basse possible correspondant à un nombre suffisant de personnes ayant eu le Covid-19 pour laisser la plupart immunisées. Cette stratégie suppose que l’immunité durera des années ou que l’on trouve un vaccin efficace dans les mois qui viennent.

Combien de temps cela prendrait-il, et à quel point les restrictions sociales doivent-elles être draconiennes ? Tel un jeu de domino, l’ensemble des pays du monde prennent tour à tour ces restrictions, avec plus ou moins de moyens coercitifs. En Chine, le blocage du pays durant six semaines commence à se desserrer avec un nombre de nouveaux cas désormais au compte-gouttes. Alors que l’Italie entame sa troisième semaine, la France finalise sa première, il y a quelques jours le président Donald Trump, annonçait de nouvelles consignes au même moment où la Californie elle mettait en place un confinement total.

Tout ceci n’est qu’une première étape. Tant qu’un individu dans le monde sera porteur du virus, les pics de contaminations continueront de se produire. Faisant référence à l’heure actuelle sur l’analyse de cette crise, un rapport de chercheurs de l’Imperial College de Londres[2], propose un moyen d’y parvenir : imposer des mesures de distanciation sociale strictes à chaque fois que les admissions dans les unités de soins intensifs enregistrent un pic, et les assouplir chaque fois que les admissions diminuent.

 

Tableau représentant les épisodes périodiques de distanciation sociale permettent de contenir la pandémie — Imperial College of London

 

La courbe orange correspond aux admissions en unités de soins intensifs. Chaque fois qu’elles dépasseraient un certain seuil — à définir par les autorités sanitaires — le pays fermerait les écoles, les universités, les lieux de rassemblement (salles de concert, etc.) et adopterait une politique de distanciation sociale. En dessous d’un seuil équivalent à la moitié du pic, ces mesures seraient levées. Les personnes présentant des symptômes seraient toujours confinées chez elles.

Durant ces périodes, quelles distanciations sociales seraient nécessaires ? Les chercheurs expliquent que “tous les ménages devront réduire de 75% les contacts en dehors du foyer, de l’école ou du lieu de travail”. Concrètement, vous pourrez sortir avec vos amis une fois par semaine au lieu de quatre fois. Chacun devra minimiser les contacts sociaux afin que, dans l’ensemble, le nombre de contacts diminue de 75 %.

Selon ce modèle, concluent les chercheurs, la distanciation sociale et les fermetures d’écoles devraient être en vigueur environ deux tiers du temps — environ deux mois d’activation pour un mois de « vie normale » — jusqu’à ce qu’un vaccin soit disponible, ce qui devrait prendre 12 à 18 mois depuis les premiers essais. Ainsi, le rythme de nos sociétés, nos activités sociales et professionnelles pourraient être régulées par l’État par épisodes périodiques trimestriels.

Tous les modèles proposés démontrent que seule une distanciation sociale stricte de l’ensemble de la population, sur des périodes plus ou moins longues, pendant plusieurs mois, permettra une issue définitive et par le haut de cette situation.

Graphique : Même si une distanciation sociale totale et d’autres mesures sont imposées pendant cinq mois, puis levées, la pandémie revient — Imperial College of London

 

Le constat de cette étude est cinglant : nous ne sommes pas dans une perturbation temporaire mais au début d’un mode de vie à adapter dès à présent, pour l’avenir.

Comment s’adapter, vivre en société dans un environnement pandémique ?

À court terme (1 à 3 mois), cette situation sera extrêmement préjudiciable pour nos entreprises qui dépendent économiquement des interactions sociales : restaurants, cafés, bars, boîtes de nuit, salles de sport, hôtels, théâtres, cinémas, galeries d’art, centres commerciaux, musées, rassemblements sportifs, salons et conférences, compagnies aériennes, etc. Par effet de ruissellement, toutes les économies qui en dépendent via la chaîne de sous-traitance seront impactées.

Rapidement, certains s’adapteront pour trouver des palliatifs à leur modèle économique, par des innovations technologiques, d’usage ou du bon sens. Les salles de sport changeront de business model en louant des équipements pour la maison ou en organisant des sessions de cours de gym en ligne. Nous assisterons à une explosion de nouveaux services dans ce que l’on appelle la shut-in economy[3]. On peut aussi se montrer optimiste sur la façon dont certaines habitudes de consommation pourraient changer : des voyages décarbonés, des chaînes d’approvisionnement plus locales, des déplacements courts davantage à pied ou en vélo.

Pour autant, la perturbation de très nombreuses entreprises et de leur viabilité économique sera impossible à gérer. Le « mode de vie fermé » est tout simplement incompatible avec l’organisation socio-économique du village global dans lequel nous vivons.

Une partie de la réponse sera la mise en place d’un système de santé plus réactif, avec des unités de réponse aux pandémies qui peuvent agir rapidement pour identifier et contenir les épidémies avant qu’elles ne commencent à se propager, et la possibilité d’augmenter promptement la production d’équipements médicaux, de kits de test et de médicaments.

À court terme, durant ces périodes de confinement périodiques, nous trouverons probablement des compromis délicats qui nous permettront de conserver une vie sociale, même bridée. Peut-être que les cinémas retireront la moitié de leurs sièges, que les réunions se tiendront dans des salles plus grandes avec des chaises espacées, et que les salles de sport exigeront que vous réserviez des séances d’entraînement à l’avance pour éviter la surpopulation. In fine, nous allons rétablir la capacité de sociabiliser en toute sécurité en développant des moyens plus sophistiqués pour identifier qui est à risque et qui ne l’est pas, et en discriminant — légalement bien entendu — ceux qui le sont.

Nous pouvons y voir les signes avant-coureurs dans les mesures que certains pays prennent déjà aujourd’hui. Israël va utiliser les données de localisation des téléphones portables avec lesquelles ses services de renseignement traquent les terroristes pour retrouver les personnes qui ont été en contact avec des porteurs connus du virus[4]. Singapour procède à une recherche exhaustive des relations et publie des données détaillées sur chaque cas connu.

« La prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir », célèbre boutade de Pierre Dac. Nous ne savons pas exactement à quoi ressemble ce nouvel avenir. Mais faisons preuve d’un peu d’imagination, dans un monde dans lequel, pour prendre un vol, il faudra peut-être être inscrit à un service qui suit vos déplacements via votre téléphone. La compagnie aérienne, sans connaitre vos destinations exactes précédentes, recevrait une alerte si vous étiez à proximité de personnes infectées connues ou de clusters de la maladie. Les mêmes exigences s’appliquent à l’entrée des grandes salles de spectacles, des bâtiments gouvernementaux ou des centres de transport public. Avant chaque réunion ou rassemblement, vous auriez obligation de vous nettoyer les mains avec du gel hydroalcoolique disponible partout et en libre-service. Il y aurait des scanners de température partout, et votre lieu de travail pourrait exiger que vous portiez un moniteur qui surveille votre température ou d’autres signes vitaux. Si les boîtes de nuit demandent une preuve d’âge, elles pourraient à l’avenir exiger une preuve d’immunité — une carte d’identité ou une sorte de vérification numérique via votre téléphone, montrant que vous avez déjà récupéré ou été vacciné contre les dernières souches de virus.

Une réelle crainte est cependant à prendre en compte. Le coût réel sera supporté par les populations plus pauvres et les plus faibles. Les personnes qui ont le moins accès aux soins de santé ou qui vivent dans des zones les plus exposées aux maladies seront désormais aussi plus fréquemment exclues des lieux et des possibilités ouverts à tous. Les travailleurs de l’industrie du spectacle, des chauffeurs de taxi aux plombiers en passant par les professeurs de yoga indépendants, etc. verront leur emploi devenir encore plus « suspects ». Les immigrés, les réfugiés, les sans-papiers voire les anciens détenus seront confrontés à un autre obstacle accru pour s’intégrer dans la société.

En outre, il sera indispensable d’établir des règles strictes sur la manière dont le risque de maladie d’une personne devra être évalué. Comme on le voit déjà , poussé à l’extrême, en Chine avec leur système de crédit social[5], les gouvernements ou les entreprises pourraient choisir n’importe quel critère : vous êtes à haut risque en fonction d’un revenu médian par an, si vous faites partie d’une famille de plus de six personnes et si vous vivez dans certaines régions du pays, par exemple. A l’aune d’une utilisation massive de l’intelligence artificielle dans nos sociétés, des risques de biais algorithmiques et de discrimination cachée peuvent émerger, comme cela s’est produit l’année dernière avec un algorithme utilisé par les assureurs santé américains qui s’est avéré favoriser par inadvertance les blancs.[3]

Le bon moment pour tirer le meilleur de l’Homme ?

Une crise peut rapidement faire ressortir les réflexes égoïstes, casser la solidarité et notre contrat social. En France, nous avons vu les gens se ruer dans les supermarchés pour s’approvisionner en papier toilette (aucune étude n’a démontré un lien entre fréquentation accru des WC et la crise), des personnes devenir des coureurs de haut niveau du jour au lendemain, des cyber-escroqueries, ou encore diverses trafics de gels ou de masques.

Mais de tels comportements irresponsables sont plus l’exception que la règle. À maintes reprises, les individus et communautés ont démontré que les pires situations ont tendance à faire ressortir le meilleur de la majorité des personnes et des organisations auxquelles elles appartiennent. Dans chaque moment d’obscurité, il y a d’innombrables interstices de lumière, faits de petits gestes et d’attentions simples.

C’est notamment ce que met en avant Rebecca Solnit dans un livre à lire ou relire[7]. Cette dernière explique que les préoccupations quotidiennes et les contraintes sociétales disparaissent en période de crise. Une étrange sorte de libération remplit l’air. Les gens se montrent à la hauteur de la situation et obtiennent davantage satisfaction à aider leur prochain, qu’à chercher leur bonheur individuel.

 

Le monde a évolué à de maintes reprises, et il le fera encore. Nous nous adapterons à de telles mesures et les accepterons, tout comme nous nous sommes adaptés aux contrôles de sécurité de plus en plus stricts à la suite des attaques terroristes. La surveillance intrusive — avec des garde-fous contre les dérives — sera considérée comme un petit prix à payer pour la liberté fondamentale que sont nos interactions sociales.

La problématique aujourd’hui n’est pas tant de savoir comment stopper cette crise du Covid-19 mais d’apprendre à faire face aux futures pandémies. Au-delà de la réponse sanitaire, cette période nous oblige à repenser nos capacités d’adaptation, qu’elles soient économiques, sociales et humaines. Car il s’agit aussi bien d’une question de mode de vie que de survie comme le rappelait très justement Charles Darwin il y a près d’un siècle : « les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements. »

 

Francois Mattens

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Pour aller plus loin :

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[1] Gilles Finchelstein, « La dictature de l’urgence », Ed. Fayard, 2011

[2] « Impact of non-pharmaceutical interventions (NPIs) to reduce COVID19 mortality and healthcare demand », Imperial College COVID-19 Response Team, 16 March 2020

[3] Laurent Smiley, « Shut-In Economy » Medium.com, Mai 2015

[4] « Coronavirus : Israël approuve des méthodes de surveillance électronique de masse », Le Monde, 17 mars 2020

[5] « Le système de crédit social : Comment la Chine évalue, récompense et punit sa population », Institut Thomas Moore, Juin 2019

[6]  « A biased medical algorithm favored white people for health-care programs », MIT Technoloy Review, 25/10/2019

[7] “A paradise built in Hell : The Extraordinary Communities That Arise in Disaster”, Rebecca Solnit, Ed. Penguin, 2010

06/04/2020

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