Communication des marques : vers la fin du triomphalisme ?

23/10/2020 - 3 min. de lecture

Communication des marques : vers la fin du triomphalisme ? - Cercle K2

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Romain Grandjean est CEO de 35°Nord.

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La communication des entreprises a connu un profond bouleversement en 2020, né de plusieurs lignes de fractures mondiales que la crise liée au Covid-19 a fini par totalement exacerber.

Dans le monde d’avant, les multinationales avaient une exigence de citoyenneté dans leur communication, les marques étaient dans un récit d’engagement, de responsabilité, voire de mobilisation - quitte à parfois frôler l’incantation. Personne n’était obligé d’y croire.

En neuf mois, ces lignes de fractures se sont accélérées et la communication globale des entreprises a dû passer d’une posture de plaidoyer à une obligation d’action, de preuves, et de mobilisation.

Le récent "Facebook ban" en est un bon exemple. En juillet 2020, Unilever, Heineken, The Coca-Cola Company, ou encore Volkswagen ont franchi le pas en annulant leurs budgets publicitaires destinés à la plateforme mondiale, une décision symbolique plus qu’une rétorsion pour Facebook (qui annonce près de 8 millions de clients), mais surtout un tournant dans les stratégies de communication : un véritable rééquilibrage du rapport de forces entre l’annonceur et son support, dans lequel le sens donné au message a désormais autant de poids que la puissance de frappe du média.

Autrement dit, "peu importe Facebook, mon message a plus d’importance".

Qu’est-ce qui a changé ? La vertu d’une entreprise s’imposerait-elle par elle-même, alimentée par la grande marée du #Covid, du #BLM et du #Mindfuck ? Non.

Mais, pourtant, tout a changé : nous avons la preuve que ce qu’il se passe dans un laboratoire à Wuhan ou dans une rue à Minneapolis a des répercussions très concrètes pour une réputation, une image, ou des valeurs de marques à des milliers de kilomètres de là.

Ce qu’il se passe au détour d’une conversation privée sur un réseau social ou même sur une boucle WhatsApp peut impliquer et détruire, le temps d’une capture écran, une image qui a mis des années à se construire. Aujourd’hui, la marque n’a plus le choix. Elle doit se sentir concernée, avant que la réalité ne la concerne de près.

Dans ce contexte, les nouvelles stratégies de communication d’entreprise pourraient se concevoir autour de trois ancrages simples : prendre en compte, agir et prouver.

1/ Prendre en compte. Une entreprise doit montrer qu’elle a compris et intégré ce qu’il vient de se passer. Il est nécessaire de montrer à ses parties prenantes qu’on a intégré cette nouvelle donne et que les choses sont en train de changer. Quitte, parfois, à devancer le changement. Dans ce cycle de crises mêlé de faux plats de l’actualité, dans ce contexte de remise à plat des messages, l’enjeu des agences conseils est là : profiter de cette fenêtre d’opportunité qui s’ouvre pour convaincre les grands groupes de relire ce qui a été fait et, pourquoi pas, reconnaitre ce qui a pu être mal fait. L’époque ouvre une prime à celui qui sait simplement "reconnaitre" son passé, pour mieux s’en exempter. L’entreprise triomphante n’a plus la cote et la remise à plat globale des messages due au Covid offre une fenêtre pour avouer, reconnaître, relire et faire mieux.

2/ Agir. Dans la communication, on devient complice par laxisme et complaisance. Ne pas prendre en compte un problème, le laisser pourrir ou le traiter à demi-mesure va très rapidement entraîner un accident majeur dont les conséquences seront beaucoup plus graves que l’incident initial.

Dans cette atmosphère inflammable, il est nécessaire pour les dirigeants d’augmenter leur niveau de vigilance et de ne plus laisser passer ce qui finira par éclater

Comment affiner son seuil de vigilance ?

Dans ce contexte, le "ban" n’est pas nécessairement le meilleur des outils, car un boycott se retourne souvent contre son émetteur et meurt régulièrement de dissensions internes. Là aussi, un travail de fond est nécessaire de la part des annonceurs pour expliquer leur démarche et ne pas céder à la facilité de la posture. Là aussi, avec modestie : là où on laissait faire jusqu’à présent, il est nécessaire d’endosser, de devancer et d’assumer.

3/ Prouver et démontrer. C’est l’autre apprentissage issu de ces crises récentes : convaincre ne suffit plus. Il faut démontrer par la preuve.

Montrer qu’on a mis en place des mesures très concrètes, des certifications, des labels, des décisions, des nominations. Montrer par l’exemple, quitte à abandonner un peu de toute puissance, pour gagner en valeur. Quitte également à ouvrir ses portes, à travailler sur la transparence de la marque. C’est ce qui donnera d’autant plus de crédit aux gages que tout le monde, bientôt, sera fier de mettre en avant. Il existe, là aussi, une prime à celles et ceux qui iront directement plus loin, sans attendre de ne plus avoir le choix pour le faire.

Danone, comme première "entreprise à mission" en est un bon exemple. La "raison d’être" d’Orange permet de poser les bonnes questions, mais aussi très récemment la nomination de Monsieur Thiam au Conseil d’administration de Kering (dont l’annonce précisait bien que la décision avait été prise il y a plusieurs semaines) ou de Madame Tchoungui au groupe Orange est, enfin, une décision de sens.

Cette nouvelle façon de communiquer "par l’action" fait naître des opportunités : c’est l’ensemble de la chaîne de valeur du message (des agences conseils aux médias) qui peut en profiter et proposer aux marques de nouvelles façons de faire, plus modernes, plus modestes, moins triomphantes.

À l’image finalement de l’époque que nous traversons.

Romain Grandjean

23/10/2020

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