Comment révolutionner l’enseignement universitaire français ?

23/03/2021 - 7 min. de lecture

Comment révolutionner l’enseignement universitaire français ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Damien Briand est Ingénieur pédagogique et Coach en révisions et prépa de concours.

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Depuis plusieurs années, le système universitaire français rencontre des difficultés et accumule des lacunes. Aujourd'hui, ce modèle de l’enseignement supérieur est en péril.

Les restrictions budgétaires successives, l'augmentation du nombre d'étudiants chaque année et, désormais, la crise sanitaire sont autant de défis toujours plus grands.

Ils expliquent en partie le déclassement des universités françaises à l'international. Seulement 5 universités sur 30 sont dans le top 100 mondial selon le classement de Shanghaï 2020 et aucune dans le top 50 selon le QS World University Rankings 2021.

Au plan national, le bilan n’est guère plus rose. Les étudiants d’écoles de commerce trouvent plus facilement un emploi à durée indéterminée à la fin de leurs études, voire avant même l’obtention de leur diplôme. Le salaire médian des diplômés de master est seulement 10 % au-dessus des diplômés d’écoles de commerce (5 ans d’études contre 3 ans pour une école de commerce)[1].

Une preuve supplémentaire de l’insuffisance des universités sur l’insertion professionnelle est la création d’écoles privées ou encore le développement des Ed-Tech. Celles-ci sont apparues afin de combler les manquements de l'enseignement traditionnel.

Malgré ce constat difficile, le modèle peut encore être sauvé, à condition toutefois que les acteurs (professeurs, chargés de TD et directeurs d'université) sachent se réinventer rapidement. En effet, le changement sera possible dès lors que les parties prenantes adopteront l'état d'esprit adéquat. 

Je vous propose ci-dessous des actions individuelles et des mesures institutionnelles qui permettraient ce renouveau avec un minimum de moyens. J’illustrerai mes propos essentiellement avec l’exemple de la Faculté de Droit dont je suis issu.

 

Les actions individuelles des professeurs

Un certain nombre de changements peuvent survenir immédiatement. En effet, les professeurs et chargés de TD ont, à leur portée, plusieurs leviers immédiats et ne nécessitant aucun budget supplémentaire.

 

Une plus grande diversité pédagogique

Certains professeurs et chargés de TD expérimentent déjà depuis quelques années divers formats pédagogiques. Pourtant, la norme demeure le cours magistral, voire la lecture et la récitation d’un cours écrit. 

Un tel format descendant (du sachant vers l’apprenant), théorique et technique, ne peut plus constituer le socle de l’enseignement à l’université.

Il est primordial de laisser place à plus de diversité pédagogique en privilégiant avant tout l'interaction et le partage. Pour cela, le principe de la pédagogie inversée peut être très puissant : correction d’étude de cas en amphithéâtre avec des rapporteurs désignés au préalable, simulation de procès ou de litige avec débriefing collectif en TD comme en amphithéâtre, correction d’exercice par des étudiants, exposé oral d’une notion ou d’un évènement historique, etc.

Les cours de demain commenceront tous par un réveil pédagogique en début de séance avec un QCM afin d’introduire le sujet du cours. Un sondage classique ou de photolangage de type Google Forms pour sonder les étudiants au début du cours et à chaque pause, etc.

Les possibilités sont nombreuses et je ne peux pas toutes les développer dans cette tribune. Si vous souhaitez en savoir plus, je serais ravi d’échanger avec vous.

 

Un accompagnement accru des chargés de TD

La réussite des étudiants, comme leur échec, est encore trop souvent dépendante de la disparité de niveau des chargés de TD. Généralement d’excellents juristes, ils ne sont pas tous égaux sur le plan de pédagogie. Je ne leur jette pas la pierre. Ils n’ont reçu presque aucune formation sur le sujet.

Combien sont conscients que le format pédagogique doit varier toutes les 20 minutes au maximum ? Que l’introduction d’une séance doit se faire progressivement pour mettre en confiance tous les participants ? Quels sont les chargés de TD appliquant strictement les règles tout en restant souples dans les échanges ?

Les chargés de TD ont besoin d’être étroitement accompagnés à la fois par leurs professeurs et leur administration. Cela repose à la fois sur une animation collective, un coaching individuel et personnalisé ainsi qu’un suivi sur l’ensemble des démarches. Les chargés TD, au même titre que les professeurs, sont les principaux acteurs de la réussite des étudiants. Or, la réussite des étudiants débouche systématiquement sur la renommée de l’université elle-même.

Il est possible également d’imaginer un tutorat entre chargés de TD expérimentés et juniors afin de compléter l’accompagnement institutionnel. Une solidarité de corps qui renforcerait également le réseau des chargés de TD pour leur début de carrière, un attrait supplémentaire pour inciter les étudiants à s’investir dans leur mission.

 

Une évaluation plus opérationnelle des étudiants

Les travaux et devoirs donnés aux étudiants sont souvent scolaires. Ils ne reflètent pas systématiquement les pratiques professionnelles. Le travail d’équipe doit devenir la norme (sans pour autant supprimer les travaux de recherche individuels). 

La réalisation des devoirs doit nécessiter de travailler en mode projet et la pluridisciplinarité doit être mise en avant : qualité de recherche et d’analyse, expression orale et écrite ainsi que la pédagogie utilisée face à un client, un justiciable ou un usagé.

Un exemple de devoir pourrait constituer en un projet à réaliser en trinôme sur la durée d’un semestre, avec à la clé une soutenance collective suivie de questions individuelles sur le dossier défendu. Toutes les thématiques peuvent faire l’objet de ce type de devoir et l’évaluation portera forcément sur les aspects professionnels évoqués ci-dessus. Ainsi, l’université permettra aux étudiants de monter en compétences afin d’entrer plus facilement dans le monde du travail.

 

Les mesures institutionnelles des universités

À l’échelle de chaque université, les directeurs et professeurs peuvent bouleverser l’écosystème étudiant. Avec des mesures simples et efficaces, l’université peut allier réussite, performance, bien-être et insertion professionnelle.

 

Instaurer un parrainage étudiant

Un parrainage entre étudiants de divers degrés existe depuis de nombreuses années. Mais généralement, il demeure à la seule initiative des associations étudiantes. Le système reste donc trop souvent marginal.

Pourtant, le parrainage étudiant crée du lien social souvent pauvre au cours de la première année, sans compter évidemment les fermetures des universités ainsi que l’annulation de tous les évènements sociaux étudiants pour des raisons sanitaires.

Le parrainage apporte aux étudiants juniors de la motivation, des conseils en méthodologie de travail et des inspirations pour la suite de leurs études. Les étudiants expérimentés développent obligatoirement leurs capacités relationnelles et pédagogiques, deux compétences incontournables dans le milieu professionnel.

 

Renforcer le tutorat professionnel

Récemment, quelques universités[2] ont repris une initiative réservée jusqu’à présent aux masters 2 professionnels : le parrainage par un professionnel.

Ce système consiste pour un étudiant de Master 1 ou de 3ème année de Licence à être suivi par un professionnel, un avocat par exemple. Ce suivi est à la fois institutionnalisé et informel. Des points de suivi sont établis et des travaux peuvent être restitués par l’étudiant dans le cadre du parrainage. Mais l’aspect informel est encore plus important. L’immersion au cœur d’une profession (audience au tribunal, garde à vue, rendez-vous client, etc.) et les retours d’expérience nourrissent la réflexion de l’étudiant sur son orientation. Son prisme scolaire se transforme progressivement en approche professionnelle des problématiques rencontrées.

 

Rendre les stages et apprentissages obligatoires en M2

La réalisation d’un stage ou d’un apprentissage est un véritable tremplin dans le monde professionnel. Cet avantage est indéniable et la réalisation d’un stage pourra être facilitée par le tutorat professionnel de l’année précédente.

De mon point de vue, les étudiants des Masters 2 Recherche sont également concernés. En effet, même s’ils souhaitent effectuer leur carrière dans le monde universitaire, une expérience professionnelle me semble indispensable. Les connexions entre recherche universitaire et expérimentations professionnelles doivent se renforcer. À défaut, les universitaires s’enfoncent dans des problématiques théoriques et les professionnels sont incapables de prendre de la hauteur sur leurs pratiques.

 

Faciliter l’émancipation des étudiants

Pour sortir les étudiants du travers scolaire, l’université doit faciliter leur émancipation. Je vous propose deux axes pour cela :

1/ Favoriser les cours particuliers entre étudiants de degrés différents avec la mise en place d’une plateforme numérique. Les associations étudiantes serviraient également de relais, voire de gestionnaires de cette plateforme. Ainsi, grâce à cette activité, les étudiants dégageraient un revenu et commenceraient à travailler dans leur domaine de spécialisation. En un mot, ils se professionnaliseraient. Des mesures de solidarité pourraient également être imaginées afin d’offrir quelques heures de cours aux étudiants les plus précaires.

2/ Ouvrir un espace de publication aux étudiants dès la deuxième année. Ces publications suivraient plusieurs étapes : publication libre dans un premier temps, puis une présélection d’articles revus, corrigés et mis en avant par les associations étudiantes. Enfin, parmi ces articles, quelques-uns auraient le privilège d’être sélectionnés par les professeurs et chargés de TD afin d’être publiés dans des revues professionnelles.

 

Conclusion

Les actions individuelles et les mesures institutionnelles présentées ici ne demandent presque aucune contribution financière, seulement un investissement humain et des changements de paradigmes.

Il existe beaucoup d'autres idées de réformes qui demanderaient des budgets supplémentaires, des fonds toujours plus difficiles à obtenir pour l'éducation. Je serais ravi d’échanger avec vous pour enrichir votre réflexion. 

Et souvenons-nous de cette célèbre citation d'Abraham Lincoln pour l’avenir de notre pays, la France : "si vous trouvez que l'éducation coûte cher, essayez l'ignorance".

Damien Briand

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[1] Écoles de commerce : 62,7 % des étudiants de business schools reçoivent une proposition d’embauche avant d’obtenir leur diplôme (source : Conférence des grandes écoles, 2018). 9 diplômés sur 10 sont en activité moins de six mois après leur remise des diplômes selon EMLV. Le salaire annuel brut médian des jeunes diplômés 2019 est de 35 714 € annuels hors primes et entre 80 % et 90 % ont un CDI à l’issue de leur diplôme (source : Conférence des grandes écoles, 2020). Universités (Master) : Dauphine : 75 % en CDI / Annuel moyen 42 262 € brut. Sorbonne Sciences : 69 % en CDI ou fonctionnaire (à 30 mois) / 40 672 €. Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) : 75 % de CDI / 38 400 €. Université de Lorraine : 70 % CDI dans les 18 mois / fourchette de salaire qui semble correspondre aux autres universités.

[2] Lyon III Jean Moulin et l’UCLy.

23/03/2021

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