Le Jihâdisme et la vision apocalyptique . Analyse historico-doctrinale d’un risque présent

09/10/2016 - 33 min. de lecture

Le Jihâdisme et la vision apocalyptique . Analyse historico-doctrinale d’un risque présent - Cercle K2

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Article paru dans Revue Française de Criminologie et de Droit Pénal n°6, Avril 2016.

 

Résumé : Par une approche transversale du phénomène jihâdiste, cet article analyse les notions de jihâd et de charia. L'étude faite de l’islam ne se limite pas seulement à la sphère religieuse, mais intègre sa dimension politique et sociale. Notre réflexion, qui prend appui sur les notions de totalitarisme et d’emprise mentale, traite le jihâdisme comme un phénomène sectaire basé sur une vision apocalyptique imminente appelant à la guerre contre l’occident des croisés.

Abstract : With a transversal approach about jhâdist phenomenon, this article describes the notions of jihâd and charia. The analyse of islam is not limited only at the religious sphere, but integrate its political and social dimension. Our reflection, based on the notions of totalitarianism and mental control, analyses the jihâdism like a sectarian phenomenon built on an imminent apocalyptic vision calling to war against the West of crusaders. 

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Les attentats de Paris du 13 novembre dernier, comme un électrochoc, ont fait prendre conscience que les frontières géographiques ne sont pas les seules qui peuvent exister. Le conflit au Moyen-Orient, sur fond de vengeance des croisades, s’est transposé sur notre territoire national. Ce drame n’est pas le produit d’une attaque extérieure, mais bien d’une présence dans nos murs de l’État islamique[1]:

"Dans une attaque bénie dont Allah a facilité les causes, un groupe de croyants, des soldats du califat, Allah, oui, donne puissance-victoire, a pris pour cible la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe, Paris. Un groupe ayant divorcé de la vie d’ici-bas s’est avancé vers leurs ennemis, cherchant la mort sur le sentier d’Allah, secourant sa religion, son prophète et ses alliés, et voulant humilier ses ennemis. Ils ont été véridiques avec Allah, nous les considérons comme tels. Allah a conquis par leur main et a jeté la crainte dans le cœur des croisés dans leur propre terre"[2].

Des jeunes gens sont morts, détruisant des centaines de vies, ce qui mérite toute notre attention. Nous essaierons de montrer dans ce présent article que la vision apocalyptique qui sous-tend la doctrine jihâdiste est à l’origine de ce choix. Pour comprendre et analyser ce phénomène, il est important de ne pas restreindre notre pensée à un domaine déterminé, comme celui de la sociologie, de la géopolitique, du droit, de la philosophie ou de la théologie. Nous essaierons d’avoir une approche diagonale et transversale. S’intéresser aux problèmes liés aux terrorismes et aux sectes requiert une disposition réflexive qui soit à la fois synchronique et diachronique pour arriver à une compréhension herméneutique trans-phénoménologique. Cette vision multidisciplinaire met en évidence un axe méthodologique qui élabore une matrice de pensée applicable à tous les phénomènes sectaires. Elle aura pour effet l’analyse des changements de paradigmes, qui nous conduiront à une Weltanschauung[3] : une « autre-vision-du-monde » ou un « monde-fantasmé ».

Les sectes et les projets jihâdistes sont similaires en tous points par leurs mécanismes d’emprise et de radicalisation. Cela est la conséquence d’un processus qui mène la personne à perdre son identité citoyenne au profit d’une « contre-citoyenneté », celle de l’adepte-sujet. Les membres de certains groupes jihâdistes nous le démontrent en brûlant leur passeport, pour signifier leur appartenance au califat. La dimension sociétale se transforme, délaissant la chose publique (Res-publica) pour lui préférerune société totalitaire (res-unica).

L’islam offre une possibilité plus ample pour ce type de dérive qu’une autre religion, essentiellement parce qu’il n’est pas qu’une religion, il est aussi un système politique et sociétal. Il convient de distinguer dans notre article les musulmans de l’islam. Les musulmans sont des croyants qui vivent leur foi en un dieu unique et qui confessent que Mahomet est le messager de celui-ci. L’islam, en revanche, est le système religieux et politique qui rassemble en son sein les croyants.

Notre monde contemporain et occidental s’est désacralisé, laissant le sacré se réfugier dans la sphère privée. Cette subjectivisation du sacré nous empêche de comprendre l’islam dans son entièreté. Pour le comprendre, il faut se replacer dans une vision sociétale totalisante, comme à l’époque de l’empereur Constantin, qui avait imposé le christianisme comme religion d’État. Pour l’islam, la foi n’est pas une réalité intérieure, propre à la conscience, elle est institutionnelle et institutionnalisée. L’islam est un système totalisant et totalitaire, au sens philosophique du terme, c’est-à-dire qu’il inclut en lui-même toute forme de pensée et de relation interpersonnelle de la naissance à la mort. Ce sens de « totalisant » et de « totalitaire » prendra une connotation purement négative avec le basculement dans le terrorisme.

Il est à noter que notre manière de voir et de traiter la réalité de l’islam qui s’installe et s’implante en Europe est erronée et dangereuse.

Premièrement, les élites politiques sont ignorantes de l’islam, elles considèrent qu’il est une religion parmi d’autres, et de ce fait elles le traitent comme les autres confessions. Nos esprits occidentaux, bien que laïcs et républicains, ont l’image, dans leur inconscient collectif, d’une idée de religion calquée sur le modèle ecclésial catholique, ensemble pyramidal, structuré et détaché du pouvoir temporel. L’islam n’est pas qu’une religion, comme nous l’avons dit, il comporte une dimension fortement politique qui conduit à envisager ses relations avec le monde non musulman en rapports fondés sur la force : « Ne faites pas appel à la paix quand vous êtes les plus forts » (Coran, 47, 35). Il y a en islam un principe de paix quand il est minoritaire, et un principe de force quand il est majoritaire dans un pays.

La deuxième erreur est d’appliquer aux sociétés islamiques les critères sur lesquels se fonde la civilisation européenne, notamment en ce qui concerne l’anthropologie et l’organisation politique de la société.

La troisième est d’être passé du concept d’assimilation à celui d’intégration, voire d’adoption du multiculturalisme pour certains pays.

Ces trois erreurs nous ont conduits à préserver une forme de pensée plus qu’une vision objective de la réalité. Il est souvent opéré la distinction entre islam, islamisme et islamisme radical. Cette différenciation peut rassurer nos esprits, mais la frontière est ténue. L’islam est une nébuleuse où l’activisme politique, missionnaire et terroriste, est souvent confondu dans sa définition même[4]. Par exemple, la religion en islam est un déterminisme, à l’inverse du christianisme, où elle est devenue une potentialité d’élévation. Pour le christianisme, la religion influe mais ne détermine pas, c’est la conscience qui détermine.

Dans cette étude, nous considérerons les mouvements jihâdistes comme des sectes de mouvance apocalyptique, c’est pourquoi il convient d’en analyser la notion (I), ainsi que son développement actuel et son système d’emprise (II).

 

I)  Analyse de la notion de Jihâdisme

 Pour comprendre les mouvements jihâdistes, il est opportun de s’interroger sur les notions de jihâd (A) et de charia (B).

A) La notionde jihâd et de guerre sainte et leurs différentes acceptions

Le terme de jihâd (ou djihad) vient de la racine arabe jhd qui signifie « effort », « force », « s’exercer contre », ce qui est l’équivalent du terme grec askesis, qui donna le terme « ascèse ». Le terme jihâd ne signifie pas forcément guerre sainte. Quand le jihâd prend la signification de guerre sainte, le Coran apparaît comme offrant des positions contradictoires.

L’islam est chargé à la fois de déterminer la conduite de l’homme ici-bas et de préparer le salut de son âme dans l’au-delà. Il instaure un ordre social et politique et, en même temps, il attend la délivrance eschatologique. Ce qui peut induire, en puissance du moins, une violence messianique. Il est par conséquent vain de tenter de définir un « vrai » islam qui serait, de par ses fondements, pacifique et un autre islam, guerrier. C’est à cause de ce mélange entre eschatologie et pouvoir politique qu’il ne peut être distingué dans l’islam entre une pratique religieuse et une attitude politique. L’islam, dans sa substance, est religieusement politique et politiquement religieux, il ne peut donc pas adhérer à ce que dit Jésus dans l’Évangile : « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mc. 12, 13-17 ; Mt. 22, 21 ; Lc. 20, 25).

Dans le Coran, nous pouvons lire :

« Combattez dans le sentier d’Allah ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes. Allah n’aime pas les transgresseurs ! Et tuez-les, où que vous les rencontriez ; et chassez-les d’où ils vous ont chassés : l’association est plus grave que le meurtre. Mais ne les combattez pas près de la Mosquée sacrée avant qu’ils ne vous y aient combattus. S’ils vous y combattent, tuez-les donc. Telle est la rétribution des mécréants » (Coran 2, 190-191). 

Ces versets conditionnent l’usage de la violence contre les non-croyants à la simple défense des musulmans. Le Coran parle aussi de la défense de toutes les communautés croyantes victimes de la répression païenne :

 « Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) - parce que vraiment ils sont lésés ; et Allah est certes capable de secourir ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, contre toute justice, simplement parce qu’ils disaient : « Allah est notre Seigneur ». - Si Allah ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom d’Allah est beaucoup invoqué. Allah soutient, certes, ceux qui soutiennent (Sa Religion) » (Coran, 22, 39-40).

 Ces versets promettent une légitime violence défensive, ici-bas, et une sanction divine dans l’au-delà à l’encontre des païens. D’autres versets, en revanche, suppriment cette conditionnalité, pour faire de l’usage de la violence un impératif religieux contre les non-croyants, entendus, cette fois-ci, comme non musulmans :

 « Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, après s’être humiliés » (Coran, 9, 29).

 Il s’agit là naturellement des chrétiens et des juifs, qui, en contrepartie de leur soumission et du versement d’un tribut, peuvent obtenir le droit d’être protégés dans une société musulmane. La guerre mise au service de Dieu constitue l’une des formes d’accomplissement du devoir de jihâd, qui devient naturellement inévitable s’il est imposé.

Dès la mort de Mahomet, en 632, les tensions intestines éclatèrent au grand jour. Ainsi, trois des quatre califes du Prophète moururent assassinés. Le meurtre du dernier en 661 aboutit à l’éclatement de la communauté en deux factions hostiles, à une guerre opposant les membres de la famille même du Prophète entre eux et à l’instauration d’un pouvoir dynastique.

L’expansion de l’islam créait, en outre, une nouvelle situation où les princes musulmans devaient désormais composer avec des alter ego non musulmans. Les rapports avec les États non musulmans se posaient. Devaient-ils être belliqueux ou pacifiques ? L’islam ne put concilier ces impératifs contradictoires et devint le théâtre soit d’une rationalité politique de l’ici-bas, soit d’une vision messianique voulant anticiper la délivrance eschatologique promise dans l’au-delà. Entre le xie et le xive siècle, à défaut de surmonter ces tensions, et dans le sillage des croisades, qui ébranlèrent les sociétés musulmanes, les légistes de l’islam parvinrent à élaborer une doctrine mitigée qui donna la priorité à la gestion de l’ordre terrestre. Ainsi, il fut explicitement admis que le pouvoir émanait d’ici-bas, mais que l’ordre politique et la vie individuelle du croyant musulman devaient être conformes avec la volonté de l’au-delà[5].

Cette nouvelle hiérarchisation des priorités permettait, avant tout, de clarifier les rapports entre les pouvoirs musulmans et non musulmans. Ainsi, en partant de la tradition prophétique et des versets datant aussi bien des périodes médinoise que mecquoise, les légistes divisèrent le monde en deux parties : le dar’ul islam (la maison de l’islam) et le dar’ul harb (la maison de la guerre). Il était interdit de recourir à la force dans la première, à savoir là où régnait l’ordre musulman. Le consensus et l’obéissance au prince s’imposaient dans la maison de l’islam, qui avait l’obligation de combattre collectivement la fitna (discorde). Quant au dar’ul harb, notion à l’évidence non coranique[6], il était constitué de « territoires non encore conquis, que les musulmans doivent s’efforcer de réduire à merci par la guerre ou harb, sans aucune possibilité de paix. Des trêves (hudna) peuvent néanmoins être conclues en principe pour dix ans[7] ».

À partir du xie siècle, la notion de jihâd, déjà polysémique, devint ambiguë et signifia une chose et son contraire. D’un point de vue doctrinal, du moins, elle continuait bien sûr à être synonyme de guerre sainte, mais cette acception guerrière était de plus en plus reléguée dans la catégorie dite « mineure ». Quant au jihâd dit « majeur », il se fit individuel et intérieur : il signifiait désormais « travailler sur soi, réaliser le message de la religion en soi ». Ainsi, le cœur de l’homme fut transformé en principal site du combat entre le Bien et le Mal. Le jihâd devint alors de plus en plus idéologique et coercitif pour être fréquemment proclamé contre toute minorité rebelle à l’intérieur du dar’ul islam. La référence religieuse finit par légitimer l’ordre politique à l’intérieur du dar’ul islam et parvenir à une interprétation réaliste de rapports de forces avec le dar’ul harb, sans pour autant briser le radicalisme dont l’islam est porteur en puissance[8].

B)  La notion de charia

Le mot charia[9] recouvre dans l’islam trois significations distinctes et interdépendantes.

En premier lieu, la charia est perçue comme une loi sacrée, que Dieu a révélée aux hommes par l’intermédiaire de son dernier prophète. L’édifice doctrinal de la charia, qui n’a été progressivement fixé qu’au cours des deux ou trois siècles qui ont suivi la mort de Mahomet, se réfère tout entier à ce moment initial comme à un mythe fondateur. En deuxième lieu, de manière plus ponctuelle, mais de plus en plus présente aujourd’hui, la charia est perçue par certains musulmans comme un idéal collectif, un ordre social idéal qui viendrait démentir une réalité décevante. Cet usage de la charia comme un slogan revendicatif face à un ordre établi vécu comme injuste est ancien dans l’histoire des sociétés musulmanes. Il s’est surtout développé depuis que dans les pays musulmans l’État et la société se sont occidentalisés dans leurs normes comme dans leurs pratiques. Enfin, la dernière acception contemporaine du terme voit la charia comme un projet de société alternatif. Ce projet n’a retenu de la charia que ce qui est en opposition flagrante avec la culture politique et juridique occidentale. Principalement, l’infériorité légale des femmes, l’infériorité légale des non-musulmans et l’application des châtiments physiques édictés par le Coran[10].

Ces différentes visions de la charia touchent toutes les trois des points névralgiques de l’idée que nous nous faisons aujourd’hui en France de la société et de la république. La charia est une loi divine qui relève de la sphère privée, ainsi qu’un ordre sociétal idéal, celui auquel se réfèrent d’ores et déjà les Constitutions de certains pays majoritairement musulmans. On ne peut que mesurer l’écart qui se creuse entre notre modèle républicain et des sociétés qui fondent leur idéal collectif sur la commémoration d’une loi sacrée qui confond temporel et spirituel, comme Mahomet unifiait en sa personne le pontificat et le califat. La charia, quelle que soit la signification que l’on accorde à ce mot aujourd’hui, est inconciliable avec notre modèle républicain et laïc. Force est de constater que la charia devient le slogan du discours musulman contemporain qui affirme un refus du modèle républicain en France, ainsi que de la culture occidentale à l’échelle du monde.

Ces dernières décennies ont enregistré une forte progression de population s’identifiant comme musulmane et revendiquant l’application de la normativité islamique. Nous assistons à une sorte de volonté d’application de la charia en occident[11]. Cette revendication soulève des questions relatives à l’architecture générale de nos systèmes juridiques[12].

Une des solutions à ce choc juridique serait de le résoudre par un processus d’incorporation de la charia dans les pratiques sociales et juridiques de nos pays occidentaux. Cela est source, bien évidemment, de fortes tensions et de controverses politiques. Les uns y voient un droit incompatible avec le respect des droits de l’homme, porteur d’un communautarisme qui mettrait évidemment en péril l’unité et l’identité nationales. En revanche, les partisans de la charia y voient un droit compatibleavec les valeurs fondamentales de l’État en argumentant sur le nécessaire respect des droits fondamentaux et sur la reconnaissance d’une identité communautaire comme prérequis de l’intégration nationale. Or, dans nos États, il est strictement impossible d’envisager ce type d’intégration, car l’islam est une nébuleuse constituée de groupes hétérogènes.

La complexité de l’islam et sa méconnaissance par les musulmans eux-mêmes entraînent souvent certains d’entre eux à s’attacher à des doctrines apocalyptiques de mouvances radicales qui s’imposent par voie de sites internet comme dispensatrices de normes charaïques[13].

 

II) Le Jihâdisme et son emprise aujourd’hui

Le jihâdisme n’est pas qu’un phénomène purement historique, c’est pourquoi il est intéressant d’en comprendre les développements contemporains (A) ainsi que son système d’emprise (B).

 

A) Les développements actuels de l’islamisme[14]

            Deux courants novateurs suivant l’idéologie islamiste ont pourtant émergé entre le xviiie et le xixe siècle dans le monde arabo-musulman: le salafisme et le wahhabisme. Ces deux mouvements sont liés l’un à l’autre, certaines branches salafistes se trouvant dans la tradition du wahhabisme. Le wahhabisme tire son nom de son fondateur, Mohammed Ben Abd Al-Wahhab (1703-1792). Dans ses fondements, le wahhabisme est à la fois une doctrine religieuse et une institution. Celle-ci garantit la tradition religieuse développée par les oulémas[15]. Sur le plan juridique, le wahhabisme n’a pas innové. Il se réfère aux principes de droit issus de l’interprétation hanbalite[16], tels qu’ils ont été fixés depuis le xie siècle. Les pratiques sociales issues de cet héritage hanbalite ont même été radicalisées. Les wahhabites ont mis en place des règles intransigeantes à l’égard des droits des femmes ou du contrôle des bonnes mœurs. Pourtant, un paradoxe demeure : le wahhabisme, dès les origines, affirme vouloir placer l’itjihad[17] au cœur de sa doctrine, mais l’interprétation exercée reste en réalité très relative et surtout très antirationaliste. À l’époque contemporaine, le wahhabisme partage avec l’islamisme contemporain sunnite des lignes communes, mais il se caractérise par son conservatisme, alors même que les mouvances islamistes peuvent être autant réformatrices que conservatrices. À partir des années 1970, trois nouveaux mouvements issus du wahhabisme originel ont formulé des critiques à son égard[18] : les islamo-libéraux, les jeunes intellectuels et certains groupes salafistes[19].

            Le terme « salafisme » vient de l’arabe salaf, « ancêtre » : la salafiyya prône un retour aux valeurs des pieux ancêtres, c’est-à-dire aux principes des fondateurs de l’islam. Il s’agit du Prophète mais aussi de ses quatre premiers successeurs. Pour les salafistes, la Sunna et le Coran doivent être compris et lus sans faire appel à la raison individuelle, mais uniquement par la mise en application et l’imitation des gestes et paroles du Prophète. C’est pourquoi, de tous les islamistes, les salafistes sont ceux qui ont la lecture la plus littérale des textes sacrés. D’abord née d’une réflexion très moderne, la doctrine salafiste a mué vers un fondamentalisme puritain se confondant avec le wahhabisme saoudien. Mais les salafistes obéissent à des logiques historiques différentes de celles des wahhabites. Aujourd’hui le salafisme influencé par les Frères musulmans, prend en compte l’idée nationale et se tourne vers un islamisme plus politique. Ses membres adhèrent à une pensée réformiste de tolérance à l’égard des chiites. Il existe de nos jours une multiplicité de courants salafistes : on ne peut donc évoquer un salafisme, mais des salafismes, qui peuvent se classer en trois catégories[20]. Depuis le début des années 1990, les salafistes défendent des positions très différentes sur les moyens à utiliser pour imposer leur doctrine. On peut distinguer trois approches, qui varient selon le degré d’activisme imposé au sein de l’oumma[21] et à l’égard des non-musulmans. 

Le salafisme originel, littéraliste et missionnaire, n’admet de ses partisans ni la participation au pouvoir politique ni leur utilisation des médias modernes. Il prône une transmission directe du message coranique à l’ensemble des musulmans, sans aucun truchement extérieur.

Le salafisme réformiste est représenté par le courant de la Sahwa. Contrairement aux salafistes littéralistes, il a vocation à diffuser au plus grand nombre sa vision de l’islam et sa vision politique du monde. Il condamne l’influence des Occidentaux sur les dirigeants du Moyen-Orient, car elle déstabilise l’ensemble de l’oumma. Le pouvoir temporel doit suivre les préceptes du religieux et non l’inverse. Les réformistes sont les salafistes majoritaires et ils pratiquent un itjihad encadré par l’utilisation de la raison.

Enfin, le salafisme jihâdiste est lui-même divisé en plusieurs mouvements. De manière générale, il prône le devoir de jihâd pour tous les musulmans. C’est le cœur de la doctrine. Il existe des jihâdistes locaux comme en Palestine qui n’ont pas vocation à imposer un califat mondial, et des jihâdistes internationaux, dont les membres d’Al-Qaida et de Daech font partie. Ces derniers luttent pour l’imposition de la religion musulmane partout dans le monde[22].

Ces groupes jihâdistes ont des noms distincts et des tailles diverses, sont situés dans des lieux différents et adoptent des stratégies liées à des priorités stratégiques disparates. Les acteurs de cet islamisme militant se divisent en trois catégories. La première comprend deux groupes, Al-Qaida et l’État islamique.

La deuxième est constituée des groupes affiliés actifs, avec des degrés divers d’organisation et de structure. En ce qui concerne Al-Qaida : au Yémen il y a Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQAP), en Somalie il y a Al-Shabaab, en Afrique du Nord et au Sahel il y a Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), et en Syrie il y a Jabhat al-Nusra. L’État islamique (EI, ISIS ou Daech), quant à lui, a développé des modèles d’alliances différents en comptant sur l’existence de nouvelles entités politiques et religieuses qui se sont créées, grâce à leur apparent succès militaire et à la propagande, en vue de gagner le soutien de la communauté musulmane du monde entier. L’avantage de ces groupes vient de leur habileté à intégrer un grand nombre de différents réseaux sunnites militants en Irak et en Syrie. Ces groupes ont pour point commun l’intérêt systématique à vouloir détruire l’Occident.

La troisième catégorie, quant à elle, constitue la pire menace pour les pays occidentaux. Ce sont des groupes nébulaires de nouveaux adeptes, informes et sans structure. Ces sont des jeunes gensqui ont franchi une frontière invisible et agissent avec ou sans l’assistance des groupes des deux catégories précédentes. Ils commettent « au nom d’Allah », dans leurs propres pays, des actes d’une rare violence (les attentats de Boston et de Paris, les meurtres de Mohamed Mérah, l’assassinat du soldat londonien). Certains de ces « convertis » choisissent aussi de partir rejoindre les pays en conflit comme la Syrie. Ces personnes sont toujours reliées par le Net avec les groupes terroristes[23]

B)   Le système d’emprise du jihâdisme

La vision d’un nouveau monde par un bouleversement immédiat sous-tend la doctrine jihâdiste. La prise du village très symbolique de Dabiq a donné le nom officiel à la revue anglophone de l’État islamique[24]. Ce village de Syrie est lié à un hadith[25] qui décrit cette ville comme l’endroit où aura lieu la grande confrontation entre les armées occidentales, c’est-à-dire les croisés, et les armées musulmanes. Nous pouvons remarquer que la couverture d’un des numéros de ce magazine a pour titre « Failed Crusade »et arbore le drapeau noir de l’État islamique flottant au-dessus de l’obélisque de la place Saint-Pierre à Rome. Le but de Daech est d’envahir l’Occident chrétien pour profaner églises et croix ainsi que pour réduire en esclavage les femmes[26]. Tout cela dans le but de venger les croisades.

Au-delà d’un enjeu militaire, Dabiq est mentionné dans une tradition prophétique particulièrement populaire chez les jihâdistes comme le théâtre de la bataille décisive entre les musulmans et les Roum, littéralement « les Romains », en fait les Byzantins au temps de Mahomet. Les Roum sont aujourd’hui, dans la propagande jihâdiste, les « Croisés » et les Occidentaux en général.

Ce hadith sur Dabiq, tiré de la compilation dite « authentique » (Sahih) d’Abou al-Hussein Muslim, un des traditionnistes les plus respectés au ixe siècle, a été cité fréquemment dans les discours jihâdistes :

 

« L’Heure dernière n’arrivera pas avant que les Byzantins n’attaquent Dabiq. Une armée musulmane regroupant des hommes parmi les meilleurs sur terre à cette époque sera dépêchée de Médine pour les contrecarrer. Une fois les deux armées face à face, les Byzantins s’écrieront : “Laissez-nous combattre nos semblables convertis à l’islam.” Les musulmans répondront : “Par Allah, nous n’abandonnerons jamais nos frères.” Puis la bataille s’engagera. Un tiers s’avouera vaincu ; plus jamais Allah ne leur pardonnera. Un tiers mourra ; ils seront les meilleurs martyrs aux yeux d’Allah. Et un tiers vaincra ; ils ne seront plus jamais éprouvés et ils conquerront Constantinople. »

Les Byzantins sont donc les Infidèles au sens large, et Constantinople la ville qui sera la cible de la terreur des Fidèles, c’est-à-dire n’importe quelle ville importante européenne signe de la chrétienté : Rome, Paris, etc.

La doctrine jihâdiste met en exergue l’idée d’un nihilisme[27] messianique qui suppose la disparition du monde ancien et la naissance d’un nouveau monde. Cette conception est très proche de celle transmise par la chanson L’Internationale, où il est dit : « Du passé faisons table rase ! » Depuis 2014, l’État islamique, par son unité Kata’ib Taswiyya, procède à une destruction organisée de monuments et vole des objets qui appartiennent au patrimoine culturel de l’Irak, de la Libye et de la Syrie. La démolition de l’arc de triomphe de Palmyre en est un des nombreux exemples, de même que des édifices à Ninive, Hatra, Mossoul et Racca. Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, a qualifié ces destructions de « génocide culturel » et appelé à la mobilisation des acteurs internationaux[28].

Il est fondamental de ne pas voir le jihâdisme seulement du point de vue théologique ou sociologique, mais de comprendre ce phénomène sectaire et totalitaire sous l’angle de l’emprise mentale. Nous avons affaire à un problème politique et non pas religieux.

Le voyage en Syrie ou le désir de se faire explosersur le sol français ne sont que le résultat d’un passage à travers une frontière invisible, spirituelle ou vibratoire. Les réseaux jihâdistes, qu’ils soient interpersonnels ou virtuels, proposent un État fantasmé sous le signe d’un unique drapeau noir où apparaît en écriture koufique blanche la chahada

L’étonnant parallélisme entre les organisations jihâdistes et les régimes totalitaires (nazisme et communisme) est évident[29]. La propagande totalitaire, comme la propagande jihâdiste, doit nécessairement paraître crédible à un public qui n’était pas encore coupé de toutes les autres sources d’information. La propagande n’est nécessaire que pour le monde extérieur. Ces mouvements pratiquent un endoctrinement séducteur et mensonger qui n’énonce pas tout d’emblée, réservant le fond de leur doctrine idéologique à des initiés.

L’apparition du nouveau monde pour le nazisme impliquaitl’accomplissement des forces de la nature par la génétique et l’extermination des sous-hommes. Pour le stalinisme, la réalisation de l’histoire par la liquidation de la classe bourgeoise au profit de la classe prolétaire. Pour le jihâdisme, c’est la disparition de notre civilisation par le feu et le sang pour imposer à notre terre l’Unique Loi, édictée par Dieu, la charia.

La volonté de trouver des explications à tous les problèmes du monde, en inventant un pouvoir suprême et universel qui en serait l’origine, avec des complots et une conspiration, est très présente dans les milieux jihâdistes comme dans les totalitarismes. Il n’y a pas de hasard, tout est cohérent. La crise d’identité occidentale est la faute des chrétiens, qui n’obéissent pas au vrai Dieu. Il est donc important de faire disparaître la civilisation occidentale, même s’il faut mourir en martyr, car Allah récompensera ses combattants dans l’au-delà.

Au centre de l’organisation se situe bien évidemment un Chef incarné en la personne du calife ou bien de chefs de petits groupes plus ou moins dissidents. Le chef peut être réel ou apparent[30].

Des organisations de façade regroupent des sympathisants. Elles sont surtout présentes sur les réseaux sociaux, dans certaines mosquées, ou dans les librairies spécialisées, sous le couvert d’opuscules ou de livres parlant de la fin du monde et de l’apocalypse dans l’islam.

Les jihâdistes européens sont loin de constituer un groupe social homogène. Leur noyau dur est essentiellement composé d’islamistes originaires du Maghreb et du Proche-Orient. Un deuxième groupe vient ensuite s’agréger autour de ce noyau dur : il s’agit en général de personnes de la deuxième, voire de la troisième génération, issues de l’immigration musulmane. Le plus souvent d’origine maghrébine ou indo-pakistanaise, ils ont intégré les milieux jihâdistes lors de leur réislamisation. Un troisième groupe est constitué de convertis à l’islam. Ce sont des personnes d’origine européenne.

 Au début des années 1990, les jihâdistes recrutaient quasi exclusivement par l’intermédiaire de leurs réseaux interpersonnels. Mais, depuis plusieurs années, Internet semble avoir supplanté les imams et les prédicateurs dans la promotion du recrutement de futurs militants. Internet est un vecteur de prosélytisme, de diffusion d’informations et de propagande. Il est facile, donc, d’entrer par une frontière invisible d’un monde fantasmé à travers la virtualité du Net. Internet tient une place primordiale dans le processus de captation d’adeptes en permettant par sa propagande une prospection passive. Dans des blogs et des espaces de discussion, il n’est pas rare de voir des portes ouvertes vers un autre espace du Web. C’est celui du Dark Web, et notamment du réseau Tor[31].

La violence extrême du jihâdisme, due à ses racines nihilistes, tient largement aux convictions apocalyptiques de nombre de ses adeptes. Des dizaines de témoignages d’adeptes non arabes de l’EI révèlent leur angoisse, et aussi leur exaltation à l’approche de la fin des temps. Le « pays de Cham », la Grande Syrie, est en effet, tout comme l’Irak, la terre privilégiée de l’accomplissement de ce type de prophéties. L’Ultime Bataille, l’Armageddon de l’islam, viendra dans un effroyable bain de sang qui consacrera la victoire des Fidèles. Cette vision apocalyptique de terreur est évoquée comme imminente sur les réseaux sociaux. L’incitation à rejoindre sans tarder les troupes du calife al-Baghdadi pour participer à cette bataille ou se tuer en kamikaze vaut mille combats. C’est le prix d’un emprunt divin, qui sera remboursé par des délices charnels avec des vierges et de jeunes éphèbes au « paradis » d’Allah.  

Daech comme les sectes offrent un « produit » qui s’adapte, qui correspond aux besoins de notre société. Leurs doctrines séductrices sont un appel au « différent », à un « Tout-autre », qui s’oppose à une société en crise d’identité.

L’adepte entre dans un autre monde, délimité par une frontière qui va scinder, séparer l’homme du monde et de la société. Cette frontière peut être, aux yeux profanes, invisible ou bien visible, et elle se fera remarquer par une dichotomie de l’adepte par rapport au monde dans lequel il vit. Elle devient palpable par le discours ou le comportement changeant.

Le citoyen se sépare et se soumet à cet absolu incarné par le gourou, le chef, le mentor ou bien le calife. Cette soumission est l’abdication de soi, qui se transformera en abîmede soi pour laisser la place à la conformation et à l’assujettissement total du soi. Un triptyque pervers s’applique : l’emprise, l’empreinte et l’emprunt. L’emprise est caractérisée par la sujétion psychologique[32], l’empreinte par le fait que le « prêt-à-penser » sectaire est ratio unica, et l’emprunt est cette reconnaissance éternelle qui peut aller jusqu’au sacrifice de sa vie, remboursé dans l’au-delà.

Il est important d’analyser le contre-État sectaire de Daech à travers le prisme des pouvoirs cumulés du chef qui se confondent en sa personne : les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Le pouvoir législatif est animé non par la volonté générale, mais par une loi absolue dérivée de la charia et fondée sur une doctrine coranique salafiste. La charia est appliquée à la lettre, mécaniquement, sans aucun discernement opéré par la raison. Le pouvoir exécutif, quant à lui, se caractérise par la multitude de « ministères » au sein des organisations de l’État islamique : les finances par la levée de fonds des différents trafics et transferts de capitaux[33], l’intérieur par une police islamique, la défense par une armée entraînée et prête au combat, l’éducation par l’instruction des enfants des recrues dans des écoles coraniques salafistes. Le pouvoir judiciaire, enfin, se définit par un tribunal islamique suprême, sans appel, qui applique, telle une bouche de la loi, de manière aveugle, totalitaire et totalisante, la charia.

 

Pour conclure, il est important de comprendre que cette vision que nous avons proposée sur le jihâdisme n’est pas une vue de l’esprit, mais souligne la réalité contre-étatique de ces phénomènes radicaux sectaires qui visent notre société. Cette dernière en est victime, lésée par ces groupes qui détruisent l’unicité de la république à travers la perte de la citoyenneté. Cette mort juridique entraîne la personne à devenir un individu chosifié et massifié qui se confond totalement dans le « Grand Tout » de la secte jihâdiste. Ce changement de paradigme laisse place à une mort morale qui va entraîner l’adepte à commettre des actes répréhensibles et criminels. L’adepte devient une victime-bourreau. La triste conséquence est la mort physique, aboutissement ultime de l’emprise[34].

Les faits délictueux commis par les adeptes conduisent les pouvoirs publics à prononcer des peines de prison qui risquent, si elles ne sont pas accompagnées d’un véritable chemin de réinsertion, de renforcer l’adepte dans ses convictions sectaires. Il se retranchera derrière sa frontière et se protégera par la doctrine qu’il a ingérée. Son « prêt-à-penser » devient un argument rhétorique dans une dialectique sans fin. L’adepte pourra sortir de l’emprise de la secte à l’unique condition de retrouver sa dimension citoyenne.

L’existence d’un monde parallèle, totalitaire et contre-étatique, invite l’État à ne pas s’écarter de la mission qui lui est dévolue : garantir l’unicité de la république et de la citoyenneté.

La véritable guerre se joue en France et en Occident, sur les changements de paradigmes, qui conduisent les adeptes jihâdistes à plonger dans une vision d’un monde fantasmé, sous-tendu par une vision apocalyptique imminente qui repose sur deux axes : l’au-delà et l’ici-bas.

L’au-delà se caractérise par une récompense au paradis, et l’ici-bas met en exergue la volonté d’un royaume en ce monde qui est l’application stricto sensu de la Loi divine. L’au-delà et l’ici-bas se retrouvent en Daech, qui promet le paradis à ceux qui détruiront notre monde, notre mode de vie, notre démocratie, notre république, au profit d’un monde régi par la charia. Le spirituel et le temporel sont désormais réunis, se confondent, se mélangent sous une même loi, un même drapeau et un même Dieu… inch’Allah !

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[1] Dans ce texte, nous emploierons indifféremment les termes État islamique en Syrie et au Levant, Daech (Dawla Al-Islamiya fi al-ʿIrāq wa Chām) ou ISIS (Islamic State of Irak and Syria), qui signifient exactement la même chose.

[2]Traduction de l’arabe du Flash infos, « Communiqué sur l’attaque bénie de Paris contre la France croisée », 2 Safar 1437, 15 novembre 2015, retranscrit verbatim, in G. Kepel - A. Jardin, Terreur dans l’Hexagone, Paris, Gallimard, 2015, p.1.

[3]Weltanschauung est un terme allemand désignant la conception du monde de chacun selon sa sensibilité particulière. Il associe Welt (Monde) et Anschauung (vision, opinion, représentation). La Weltanschauung est au départ une vision du monde d'un point de vue métaphysique, mais hors du champ de la philosophie. Cette notion est aujourd’hui souvent traduite par le terme paradigme, dont elle constitue l’un des sens.

[4] Cf. A.-C. Larroque, Géopolitique des islamistes, Paris, PUF, 2015, p. 10-11.

[5] Cf. E. Weber, G. Reynaud, Croisade d’hier et Djihad d’aujourd’hui, Paris, Éditions du Cerf, 1989.

[6] Cf. B. Tibi, « War and Peace in Islam », in S. H. Hashmi, Islamic Political Ethics. Civil society, Pluralism, and Conflict, Princeton & Oxford, Princeton University Press, 2002, p. 177.

[7] D. Sourdel, J. Sourdel-Thomine, Vocabulaire de l’islam, Paris, PUF, 2002, p. 28.

[8] Cf. Jason Burke, The new threat, London, The Bodley Head, 2015, p. 37-55.

[9] Cf. J. Loiseau, « Qu’est-ce que la charia ? », in Le Débat, 2012/4, no 171, p. 172-178. Pour une notion complète et synthétique de la charia, cf. N. Bernard-Maugiron, J.-P. Bras, Charia, Paris, Dalloz, 2015.

[10] Cf. B. Dupret (sous la dir. de), La Charia aujourd’hui. Usages de la référence au droit islamique, « Recherches », Paris, La Découverte, 2012.

[11] Cf. N. Bernard-Maugiron, J.-P. Bras, Charia, Paris, Dalloz, 2015, p. 165-202.

[12] Cf. CEDH, Grande chambre, S.A.S. c/ France, 1er juillet 2015, requête 43835/11; cf. affaire Baby Loup, Ass. plén., 25 juin 2014, arrêt no 612, no pourvoi 13-28 369.

[13] Cf. D. Thomas, « Le rôle d’internet dans la diffusion de la doctrine salafiste », in B. Rougier, Qu’est-ce que le salafisme aujourd’hui, Paris, Proche-Orient, PUF, 2008, p. 87-102.

[14]Nous ne développerons la question du jihâdisme que dans le cadre du sunnisme ». Nous omettrons volontairement de citer le chiisme : cela ne concerne pas directement notre étude et risque de l’alourdir par des distinctions notionnelles qui viendraient s’ajouter en surplus au sujet abordé.

[15] Savants musulmans qui étudient les sciences religieuses et peuvent avoir un rôle de guide pour la communauté.

[16] École juridique sunnite née au ixe siècle à l’origine du mouvement wahhabite.

[17] C’est l’effort de réflexion, qui en islam est une interprétation personnelle des ressources du Coran par les docteurs en droit musulman, qui sert à la fabrique de normes juridiques. Elle suppose une utilisation de la raison.

[18] Cf. S. Lacroix, « Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en question », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, no 123, juillet 2008, p. 141-159.

[19] Cf. A.-C. Larroque, Géopolitique des islamistes, Paris, PUF, 2015, p. 20-23.

[20] Cf. B. Rougier, Qu’est-ce que le salafisme ?, Paris, PUF, 2008, p. 15-18.

[21] L’oumma est la communauté de tous les musulmans, indépendamment de leur nationalité.

[22] Cf. A.-C. Larroque, Géopolitique des islamistes, Paris, PUF, 2015, p. 23-30.

[23] Cf. J. Burke, The new threat, London, The Bodley Head, 2015, p. 15-36.

[24] Les origines de Daech remontent à 2003, lorsque l’invasion américaine en Irak mobilisa contre elle les sunnites évincés du pouvoir et permit la montée en puissance des chiites. Un des activistes les plus virulents fut un malfrat jordano-palestinien converti au salafisme, ancien combattant du jihâd contre les Soviétiques en Afghanistan, Abou Moussab al-Zarqaoui (1966-2006). Chassés par l’intervention internationale à la fin de 2001, Al-Zarqaoui et ses hommes refirent surface en Irak à la fin de 2002. Sa lutte contre les forces américaines dès l’été 2003 valut à l’organisation d’être reconnue par Ben Laden en octobre 2004. Fédérée avec deux autres groupes, elle prit le nom d’Al-Qaida au « Pays des deux fleuves ». Mais sa violence extrême contre les musulmans ne partageant pas sa vison de l’islam fut condamnée par Al-Qaida. En 2013, il rompit avec Al-Qaida et renomma son organisation « État islamique en Irak et au Levant ». Au début de 2014, il adopta l’appellation d’État islamique (Daech), et il proclama le 29 juin 2014 la restauration du califat, le calife étant le successeur du prophète Mahomet. Cf. P. Gourdin, « L’organisation Daech-État islamique »,in Questions internationales, no 75, septembre-octobre 2015, p. 23-25.

[25] Un hadith ou hadîth est une communication orale du prophète Mahomet et, par extension, un recueil qui comprend l’ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles de Mahomet et de ses compagnons. Considérés comme des principes de gouvernance personnelle et collective pour les musulmans, on les désigne généralement sous le nom de « tradition du Prophète ».

[26] Cf. Dabiq, septembre 2014, no 4, « The Failed Crusade », p. 37: « We will conquer your Rome, break your crosses, and enslave your women, by the permission of Allah, the Exalted. »

[27] Sur la signification du nihilisme, Nietzsche répond : « Que les valeurs suprêmes perdent toutes valeurs […] L’homme moderne croit expérimentalement maintenant, à ce maintenant, à cette valeur, pour après la laisser tomber. Le cercle des valeurs dépassées et laissées tomber est toujours plus vaste. On se rend compte toujours plus du “vide” et de la “pauvreté de valeur”. Le mouvement ne peut s’arrêter. [...] À la fin, l’homme ose une critique des valeurs en général, il en reconnaît l’origine, il “connaît” assez pour ne plus croire dans aucune valeur […] Voilà ce que raconte l’histoire des deux prochains siècles » (Fragments posthumes, 1887-1888).

[28] Cf. I. Bokova, in  « L’État islamique fait aussi la guerre contre la culture », Lemonde.fr, 4 mars 2015.

[29] Cf. H. Arendt, Les Origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, P. Bouretz (dir.), « coll. Quarto », Gallimard, Paris, 2002, p. 611-839.

[30] En effet, celui qui se fait appeler aujourd’hui le calife al-Baghdadi et qui prétend vouloir gouverner tous les fidèles de l’islam, de gré ou de force, pourrait en fait n’être que le leurre « spirituel » d’un groupe dirigé par d’anciens hauts militaires de Saddam, avides avant tout de faire main basse sur les richesses d’une partie de la Syrie et de l’Irak. C’est en tout cas une hypothèse qui circule dans les services secrets occidentaux. Elle se fonde en partie sur un document de 31 feuillets récupéré par l’Armée syrienne libre (ASL) au nord de la Syrie, à Tal Rifaat, un fief de l’État Islamique, et dont l’hebdomadaire allemand Der Spiegel a fait état au printemps dernier. Cf. C. Reuter, « The Terror Strategist. Secret Files Reveal the Structure of Islamic State », in Der Spiegel online, 18 avril 2015.

[31] Cf. S. Amghar, « Les filières jihadistes européennes. Les nouvelles méthodes de recrutement. », in Questions internationales, no 75, septembre-octobre 2015, p. 45-48 ; cf. M. Guidère, « Les filières jihadistes européennes. Des convertis extrêmement motivés. », in Questions internationales, no 75, septembre-octobre 2015, p. 49-51.

[32] Cf. loi Abou-Picard.

[33] La contrebande de pétrole, la revente d’objet d’art, la vente d’esclaves, le trafic de drogue et d’organes sont les principaux moyens de financement de l’État islamique. Il est à noter que certains observateurs italiens s’inquiètent de la criminalisation de membres de la communauté mouride sénégalaise. La confrérie mouride serait à même d’être à la fois à la base de la réception des stupéfiants au Sénégal et en bout de chaîne dans la distribution du produit en s’appuyant sur les circuits de distribution existants déjà en Europe au sein de la communauté. L’acheminement de la drogue en zone subsaharienne est assuré par des groupes proches d’AQMI ou des groupes ayant prêté allégeance à Daech. Outre la criminalisation de certains membres, l’autre risque serait celui de la radicalisation jihâdiste.

[34] Pour Hannah Arendt, le chemin qui mène à la domination totale passe par trois étapes. La première consiste à tuer en l’homme la personne juridique, c’est-à-dire possédant des droits : les personnes sont placées « hors la loi », de même que les camps de concentration sont placés en dehors du système pénal normal. La deuxième consiste à tuer en l’homme la personne morale. Cela est rendu possible en rendant la mort anonyme, en dépouillant la mort de sa signification : le terme d’une vie accomplie. L’individu est dépossédé de sa propre mort. Il reste alors la dernière étape, consistant à transformer les hommes en cadavres vivants, à faire disparaître la différenciation des individus, l’identité unique de chacun, cela revenant à tuer la personne physique. C’est ce que nous nommerons « le principe des trois morts » : la mort juridique, la mort morale et la mort physique. Cf.H. Arendt, Les Origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, p. 807-808.

09/10/2016

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